KANYABAYONGA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Kanyabayonga demeure, comme le diront la plupart de ceux qui connaissent cette région montagneuse à l’extrême est du pays, un endroit à éviter.
Or, aujourd’hui, cette communauté autrefois jugée trop dangereuse pour s’y aventurer est devenue un havre inattendu pour des voyageurs épuisés. La route qui mène à ce point de transit principal près du parc national des Virunga et de ses gorilles de montagne menacés d’extinction se remplit aujourd’hui de camions, s’érigeant ainsi en rempart contre le danger et en secret du salut de la région.
Jadis, ces nouveaux restaurants et logements n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Il s’agissait des maisons à la toiture en tôle appartenant aux habitants pris dans l’engrainage des cas sporadiques d’instabilité et de violence entre les groupes armés qui sévissent dans la région. Des menaces pour la sécurité, notamment des tueries et des enlèvements, sur la route nationale entre Kanyabayonga et d’autres villes voisines, ont poussé les autorités provinciales à élaborer une nouvelle stratégie : organiser des convois de camions pour une plus grande sécurisation de chauffeurs et de leurs marchandises.
Presque tous les jours, jusqu’à 100 camions transportant des marchandises telles que du charbon de bois, des bananes, des pommes de terre et du bois font la queue dans l’attente d’être autorisés à poursuivre le trajet. Cette alternative est ce qui ressemble le plus à une solution pour une région en quête de paix.
« Le convoi n’était pas notre souhait », lâche Alfred Katembo, 35 ans, activiste et président de la société civile à Kanyabayonga. « Mais c’est devenu un mal nécessaire pour la population ».
Et pour empêcher la propagation du coronavirus, les autorités ont fermé la route de Kanyabayonga plus tôt cette année, et ce, pendant un mois. Toutefois, la route ayant été rouverte en mai, on voit encore des foules se regrouper près des camions en partance.
Jamais auparavant, cette région n’avait eu besoin de restaurants, ni d’hôtels ; car il n’y avait pas de clients. Certains voyageurs ne voulaient pas emprunter cette artère, malgré sa proximité avec une route principale. La majorité – sinon la totalité – des gens, préféraient la route entre Goma et Butembo, soit un trajet de près de 300 kilomètres en bus.
À en croire Alfred Katembo, 35 ans, activiste et président de la société civile à Kanyabayonga, ce n’est qu’en 2015 que des camions ont donné lieu à l’ouverture de logements et de restaurants. Aujourd’hui, estime-t-il, on y trouve plus de 15 nouveaux hôtels informels. La Fleur et La Promesse, tels sont les noms donnés à ces commerces pour attirer ceux qui sont à la recherche d’un lieu pour repos ou repas chaud.
Une interdiction locale de conduire la nuit tourne à leur avantage. Non seulement cette interdiction vise à prévenir les menaces de groupes armés, mais elle signifie aussi que les camionneurs et les voyageurs n’ayant nulle part où aller peuvent fréquenter ces établissements. L’inconvénient de ce nouveau mode de transport est le ralentissement des déplacements : la vie est conditionnée par l’horaire du convoi.
Souvent, des motos-taxis des environs de Kanyabayonga déposent des passagers arrivant pour rejoindre le convoi. Dans un tel cas, des hommes et des femmes qui exploitent ces commerces se dépêchent pour accueillir ces passagers. Aux dires de Chantal Kahambu, 35 ans, qui a commencé à louer de petites chambres à Kanyabayonga il y a deux ans, elle a perçu le besoin de logement, décidant ainsi d’en faire une opportunité.
« Certains passaient la nuit à la belle étoile », explique-t-elle. « D’autres dormaient sur ou en dessous de camions ou encore au bord de la route. Ils étaient exposés à beaucoup de risques ».
Si le convoi est en retard, Kahambu reçoit sept à 10 clients supplémentaires, annonce-t-elle. Sinon, elle en trouve un à deux. Elle propose une chambre simple à 5 dollars, qu’elle soit occupée par un seul individu ou une famille entière, et son revenu journalier peut varier entre 30 et 40 dollars. Il s’agit d’une coquette somme dans un pays où, lit-on dans un rapport gouvernemental de 2018, le revenu moyen est inférieur à 3 dollars par jour.
Cela a permis à Kahambu d’ouvrir une buvette à Kanyabayonga, grâce à laquelle elle empoche environ 20 dollars par jour. Mais son succès n’est pas sans défis. Certains clients, confie-t-elle, se lèvent tôt le matin et filent sans payer, et la nourriture n’est parfois pas consommée lorsque l’escorte du convoi arrive tôt.
Pour la plupart des habitants, pourtant, ce pic d’activité commerciale est source de joie.
Le système de convoi permet une vie décente, non seulement pour Ghislain Kambale, mais aussi pour d’autres gens qui vendent leurs produits agricoles. « Le matin avant le départ du convoi, nous, les habitants, profitons pour vendre nos denrées alimentaires comme les ananas, le maïs, les ignames et les bananes auprès des passagers », confie-t-il.
Quoique ces changements fassent aussi naître un sourire chez certains clients, ils suscitent des inquiétudes face à la nécessité de prendre des mesures de protection contre les menaces telles que les voleurs et les logements insalubres.
« Que les tenanciers d’hôtels et de logements tiennent fort sur la propreté des chambres », conseille Kahindo Mughenyerwa, épouse d’un chauffeur de camion faisant partie des convois.
Parmi ces habitants, toutefois, la plupart ne font que pousser un ouf de soulagement d’avoir un endroit où se reposer. Justiva Kavira Vyalirendi, 18 ans, est particulièrement reconnaissante.
« J’étais parfois obligée de passer la nuit sur mon lit avec une voyageuse que je ne connaissais pas », déclare-t-elle ». « Depuis l’installation de plusieurs logements, nous ne vivons plus ces cas ».
Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo. Merveille est spécialiste des reportages sur les migrations et les droits de la personne.
Note à propos de la traduction
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre processus de traduction.