KASEGHE, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Ici, on observe la quasi-inexistence d’usines et de véhicules, principales sources de pollution dans une bonne partie de la RDC. Et pour cause, il s’agit d’une région aux collines et vallées tapissées d’une végétation luxuriante.
Dans tout le village, le paysage est parsemé des cultures de maïs et de haricots, et des troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons errent ici et là, se régalant de l’herbe fraîche.
Quoique la vie leur soit simple, les habitants de Kaseghe doivent bosser dur, l’agriculture et l’élevage étant leurs deux principales activités. À 6 heures du matin déjà, les agriculteurs et les éleveurs sont respectivement affairés aux travaux champêtres et à la tâche de faire paître leurs animaux.
Quoique l’endroit soit un havre de beauté paisible, le calme y est rare.
Souvent, des échauffourées entre agriculteurs et éleveurs dégénèrent en conflit voire même en violence meurtrière.
Masika Kyatsandire, 50 ans, est issue d’une famille d’agriculteurs. Selon elle, quand des animaux broutent des cultures d’un autre agriculteur, le conflit peut déboucher sur un meurtre.
« Il n’y a pas si longtemps, des chèvres d’un voisin dévastaient le champ de maïs d’un autre voisin », dit-elle, décrivant un scénario devenu monnaie courante ici. « Et comme conséquence, on a assisté à des affrontements entre agriculteurs et éleveurs. Le bilan fait état de deux personnes tuées sur le coup et de pas mal de blessés ».
Aussi, précise-t-elle, ses champs sont régulièrement envahis par des animaux domestiques.
« Mon champ de maïs se trouve à 30 minutes de marche de chez moi », révèle-t-elle. « Des vaches et des chèvres le dévastent souvent. Notre village est aux prises avec ce genre de problème depuis longtemps. Et croyez-moi, d’autres massacres seront inévitables si rien n’est fait »!
À Kaseghe, bien des exploitations agricoles sont entourées de champs, et il arrive trop souvent que le bétail échappe à la vigilance des éleveurs pour ravager des cultures dans les environs. Pour les agriculteurs dont la survie dépend des cultures, le ravage de ces dernières débouche souvent sur la violence.
Des conflits entre agriculteurs et éleveurs sont fréquents en Afrique. Au Niger, 20 personnes ont été tuées en 2016 dans un conflit similaire. De même, des conflits entre agriculteurs et éleveurs au Mali ont récemment fait plus de 20 morts.
À Kaseghe, au moins 75 pour cent des conflits surgissent entre éleveurs et agriculteurs, déclare Samuel Katembo Kibwana, secrétaire administratif de l’agglomération rurale de Kaseghe, située à 17 kilomètres de la cité de Kirumba dans le territoire de Lubero.
Ici, les conflits entre éleveurs et agriculteurs restent généralisés et récurrents, lance-t-il.
Souvent chargé de régler des conflits avant qu’ils ne dégénèrent en violence, Kibwana affirme trancher au moins un différend chaque mois. Il a, depuis Avril, réussi à régler quatre différends concernant des animaux errants ayant détruit des clôtures et envahi des champs pour se régaler des cultures.
Mais aux yeux des habitants, ce problème ne trouvera pas de solution durable. Ainsi, ils s’attendent à la persistance de la violence si les communautés n’arrêtent pas de continuer à s’accuser mutuellement et à éprouver un sentiment de frustration.
Jeanine Mutangi, agricultrice, accuse les éleveurs d’être à l’origine de tous les problèmes du village.
« Les éleveurs devraient savoir où faire paître leur bétail. Quant à moi, faire paître le bétail sur mon champ de cultures délibérément ne diffère en rien de s’introduire par effraction dans ma maison et voler tout ce que je possède », dit-elle. « Peu importe la situation, il est inacceptable que les éleveurs se comportent de la sorte ».
Les agriculteurs dont les récoltes sont ravagées se vengent souvent en confisquant ou en abattant le bétail trouvé dans leurs champs, explique John Mambeya, enseignant à Kaseghe.
« Très souvent, les agriculteurs se vengent sur les éleveurs en abattant ou en vendant les animaux trouvés dans leurs champs, attisant ainsi davantage de conflits au lieu de s’en débarrasser. Il y a même ceux qui ne peuvent se dire bonjour simplement à cause de cela », raconte-t-il en décrivant les tensions ayant submergé cette région qui donne l’air d’être paisible.
Nzuva Mahamba, 43 ans, éleveur, affirme faire paître son bétail à environ 10 kilomètres à l’ouest de Kaseghe dans l’espoir d’éviter des conflits. Pourtant, comme il le témoigne, il arrive que ses animaux échappent à sa vigilance malgré ses efforts.
« J’ai des vaches, des moutons et des chèvres. Des fois, ils peuvent ravager les plantations de mes voisins sans que je le sache. Pourtant, il m’est toujours difficile de les faire comprendre qu’il y a des moments où mon bétail s’égare dans leurs champs à mon insu », déclare-t-il.
Certains habitants en ont marre de la persistance du conflit et évoquent la nécessité pour les autorités locales d’intervenir pour offrir une formation ou adopter d’autres stratégies en vue de réduire la violence entre agriculteurs et éleveurs.
« Les autorités devraient rechercher des moyens de mettre définitivement fin à ce conflit », déclare Marie Jeanne Kavugho, commerçante.
Kibwana, secrétaire administratif de l’agglomération, partage le même avis.
« Si rien n’est fait, cette situation ne fera que de subsister et de s’aggraver », avertit-il. « Malheureusement, nos sources de revenus se transformeront en sources de tueries, si l’on ne parvient pas à trouver une stratégie permettant de remédier à ces conflits ».
Mambeya, enseignant dans la région, affirme qu’il consulte des recherches réalisées par des experts ayant trouvé des solutions aux problèmes similaires dans d’autres parties de l’Afrique.
« Je pense que nous avons besoin d’experts qui peuvent nous former sur des stratégies permettant de prévenir les conflits entre agriculteurs et éleveurs », souligne-t-il. « Sinon, des massacres à grande échelle survendront à tout moment, si rien n’est fait ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.