KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Quand Yangonda, 20 ans, est devenue orpheline en 2011, elle a commencé à travailler dans un bar local et est allée vivre chez sa grand-mère. Longues heures de labeur, insuffisance de salaires et harcèlement sexuel sont choses courantes chez des jeunes femmes travaillant dans des bars, relate cette serveuse qui préfère parler sous son seul nom de famille par crainte de licenciement.
« Ici, les clients ont le droit de me tapoter les fesses, et je n’ai pas le droit d’y refuser, car ça fait partie de mon boulot », confie-t-elle. « Mon travail est long, extrêmement pénible et dangereux, mais je n’ai pas d’autre choix ».
À Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo en RDC, les perspectives d’emploi régulier s’ouvrent au compte-gouttes. Yangonda ne peut, selon ses propres dires, nourrir sa grand-mère de 91 ans en l’absence de son travail pour lequel penser à un contrat de travail serait un rêve chimérique.
Partout dans la ville, des bars, souvent clandestins, sont localement connus sous le vocable « nganda » et sont prisés par les populations locales. Pourtant, leurs employés, souvent des femmes, sont confrontés à de piètres conditions de travail dont, entre autres, les faibles salaires et le harcèlement sexuel. Néanmoins, nombreux sont ceux qui s’accrochent à leur travail plutôt que de dénoncer ces mauvaises conditions auprès des autorités locales par crainte de licenciement, de stigmatisation et de violences physiques et verbales aux mains des employeurs.
Des années de conflit en RDC ont eu pour conséquence le chômage élevé. À en croire les estimations du Fonds monétaire international, le taux de chômage officiel en RDC se chiffrait à 45 pourcent en 2015. Les femmes sont plus explosées que les hommes à l’insécurité d’emploi et au chômage, et nombre d’entre elles font le choix d’un travail informel, mal rémunéré et parfois dangereux pour survivre.
Selon les experts, des cas de harcèlement sexuel et de violence sont courants en RDC, y compris sur les lieux de travail. Comme le révèle l’enquête réalisée en 2015 par IDAY, un réseau international d’organisations de développement en Afrique et en Europe, un travailleur sur cinq dans le pays a déjà été victime de harcèlement sexuel dans le cadre de son travail, notamment pour le travail domestique.
Le harcèlement sexuel n’étant pas criminalisé ici, la violence sexuelle, elle, est punissable par la loi. Le viol emporte cinq à 20 ans de servitude pénale ou une amende de 100 000 francs congolais, tandis que l’attentat à la pudeur entraîne un emprisonnement de six mois à cinq ans.
Malgré cette rigueur de la loi, des serveuses dans des bars affirment que leurs patrons et clients ne cessent de les exposer aux attentats à la pudeur et à la violence verbale.
Mungwaka, 29 ans, qui préfère parler sous son seul nom de famille par crainte de licenciement, affirme faire l’objet de harcèlement régulier sur son lieu de travail.
« Des clients me donnent une tape sur les fesses, et je dois leur sourire même si je vais mal », glisse-t-elle.
D’autres affirment commencer leur travail sans signer un contrat. Leur emploi étant informel, nombreuses sont les serveuses qui restent exposées aux mauvaises conditions de travail, notamment le harcèlement sexuel, les faibles salaires et les risques sanitaires.
« Leurs droits [les serveuses] sont bafoués chaque jour », explique Jacques Désiré Muzinga, coordinateur de la Société civile de la Tshopo, une organisation civile à l’échelle de la province.
Yangonda dit qu’elle travaille chaque jour de 8 heures du matin jusqu’à minuit, et ce qu’elle gagne ne peut suffire à faire autre chose que de subvenir aux besoins de sa grand-mère.
« Par mois, on me paie 25 000 francs congolais et cela m’aide seulement à acheter quelque nourriture pour ma grand-mère », révèle-t-elle.
Ngasado, qui lui aussi préfère parler sous son seul nom de famille par peur de perdre son emploi, affirme travailler 13 heures par jour mais qu’elle ne gagne pas assez d’argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses deux enfants. Serveuse depuis quatre ans, elle a travaillé dans différents bars de la ville.
« On me paie 30 000 francs par mois et, toute la journée, on ne me donne que 500 francs pour la restauration et le transport », fait-elle savoir en parlant de ses conditions de travail actuelles.
Alors que beaucoup affirment endurer ces conditions de travail faute d’autres emplois, les autorités locales disent que la peur de la stigmatisation de la part des familles et des membres de la communauté est aussi l’une des raisons poussant les employés à dénoncer rarement leurs employeurs.
« Si un travailleur est mal payé par son patron, nous sommes là pour trouver une solution », explique Dieudonné Epanza, inspecteur du travail du gouvernement local. « Mais, nous regrettons beaucoup de voir que si un travailleur est mal traité par son patron, il reste calme sans pour autant nous le signaler ».
En l’absence de contrat de travail signé, punir un employeur abusif peut s’avérer chose difficile. Raison pour laquelle certaines serveuses préfèrent se priver de la chance de faire appel à la justice.
« Face au chômage qui règne ici, elles préfèrent la maltraitance plutôt que de n’avoir rien à se mettre sous la dent », renseigne Muzinga.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.