GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Des fillettes de cinq ans s’attellent à leur tâche qu’est la chasse des oiseaux. Tout près d’elles, des grains de maïs et des racines de manioc avec lesquels le commerce de Jacqueline Kabuo roule sèchent au soleil.
Qui dit Kabuo dit pas mal de qualificatifs: veuve, mère de six enfants, entrepreneure et distillatrice. Mais à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC, elle est surtout célèbre pour sa vodka, recette unique en son genre et forte connue ici sous le nom de rutuku.
« Beaucoup de gens sont de fervents amateurs de rutuku car c’est une recette très bon marché », dit Kabuo, ajoutant que sa production s’élève à 40 litres par semaine. Chez elle, le litre se vend à 1 500 francs congolais.
Contenant environ plus de 50 pourcent d’alcool, le rutuku est très prisé par des habitants.
Kabuo n’a jamais été à l’école pour apprendre la chimie, mais ses techniques de brassage semblent indiquer le contraire, affirment ses clients. Avec un haussement d’épaules, elle révèle avoir appris l’art de la distillation par essais et erreurs.
« Une amie à moi m’a indiqué une recette simple que j’ai pu essayer et améliorer », dit-elle, ajoutant qu’elle surveille de près la température pour s’assurer que « la vapeur d’alcool se condense en liquide sous forme d’un gin très prisé appelé vodka ».
Pour faire sa bière maison, Kabuo se sert d’un équipement de fabrication locale pour récupérer des vapeurs qui se condensent en un alcool puissant. Fabriquer un seul lot peut prendre jusqu’à une semaine.
Quoique son produit soit chéri par certains, d’autres le jugent dangereux. Sa teneur en alcool étant inconnue, cette bière est une puissante machine à tuer, disent ses détracteurs.
Rutuku est une liqueur artisanale distillée devenue vulgaire en RDC. Cette liqueur provient d’un mélange de maïs et de cossettes de manioc broyés dans un moulin ou pilés au mortier, puis fermentés dans un tonneau hermétiquement fermé. Kabuo se sert d’un fût et d’un demi-fût reliés par des tuyaux au bout desquels sont disposés des récipients dans lesquels l’alcool se condense en gouttes et s’accumule.
Admirant son talent naturel, Jules Chizungu, 44 ans, biologiste au Laboratoire AMI-LABO de Goma, affirme que le produit de Kabuo est susceptible de présenter des risques pour la santé.
« Même si cette femme n’a pas eu la chance d’aller à l’école, elle applique des concepts chimiques sans le savoir en chauffant son produit jusqu’à ébullition pour enfin récupérer l’eau distillée qui contient de l’éthanol », explique-t-il. « Mais elle fait preuve d’une compréhension boiteuse de la teneur en alcool de sa boisson alcoolisée distillée ».
Alors que les producteurs affirment que leur business roule en toute quiétude, la loi congolaise pénalise leur travail brassicole et la vente de rutuku à cause de sa forte teneur en alcool que les distillateurs amateurs ne mesurent que très rarement.
Mais Lucien Katambwe, chef du quartier de Katoyi, où vit Kabuo, dit que ces accusations sont gratuites. Selon ses dires, il ne connaît personne qui ait trouvé la mort à cause de cette vodka.
« Je n’ai jamais entendu parler d’un décès dû à la consommation de son produit parce qu’elle a une façon à elle de rendre sa vodka non nuisible », précise Katambwe.
Aucun cas de décès n’a été enregistré comme résultant de son produit.
Ferdiane Baseme, 50 ans, est une cliente de longue date. Elle affirme se régaler du rutuku depuis de nombreuses années, ajoutant qu’elle l’aime parce qu’il est fabriqué à base d’ingrédients naturels.
« J’adore cette boisson parce qu’elle est entièrement naturelle et son goût rappelle celui du whisky. Je la prends souvent pour me désaltérer. Et, plus intéressant encore, elle est bon marché », dit-elle en buvant une gorgée.
En revanche, d’autres comme Bientôt Rwabika, 45 ans, témoigne que le rutuku de Kabuo constitue une menace à la santé.
« Je ne peux même pas prendre cette boisson parce qu’elle altère la force des gens. Ce genre de vodka est particulièrement déconseillé aux gens maigres. Pire encore, elle produit des conséquences à long terme sur le cerveau », avertit-il.
Malgré cette controverse, le business de Kabuo a été à l’origine d’un solide réseau d’autres commerçants.
Yvette Zawadi, 45 ans, est une cliente grossiste de Kabuo depuis 10 ans. Selon elle, son commerce – acheter et revendre le rutuku – reste juteux.
« Mon business roule bien », témoigne Zawadi. « Aujourd’hui, mes enfants étudient dans de bonnes conditions et je parviens à répondre à certains de mes besoins ».
Pour s’assurer de l’innocuité et de l’amélioration continue de son produit, Kabuo veut en apprendre davantage sur la chimie et le business.
« J’aspire à plus de connaissances et de moyens pour pouvoir améliorer mon business », annonce-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.