KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Ce matin de juillet, personne n’a sonné la cloche de l’école pour la récréation. Les élèves qui auraient dû ouvrir leurs manuels de mathématiques se sont recroquevillés à l’intérieur de leur classe alors que des coups de feu retentissaient dans la rue.
Il s’agit de la dernière guerre des gangs d’adolescents à Kisangani, une ville tropicale du nord de la RDC, où les crimes commis par des adolescents sont en hausse depuis le début de la pandémie de coronavirus.
Tezuni Alphani a quitté l’école à pied, comme il le faisait habituellement, quatre heures plus tard, lorsque les enseignants ont jugé que la voie était libre. Mais quelques minutes après, il a été acculé par six adolescents.
« Ils ont commencé à m’agresser, me demandant de leur donner de l’argent, autrement je serais mort car ils étaient munis des couteaux », a déclaré Tezuni. « Ils ont pris mon téléphone, mon cartable. Ils ont même pris mes chaussures », a-t-il-ajouté.
L’adolescent de 16 ans est rentré chez lui pieds nus. Il avait reconnu certains des émeutiers comme étant d’anciens élèves de son lycée dans la commune de Makiso, un quartier du centre-ville de Kisangani. Mais il a déclaré que ses parents n’ont pas jugé utile de signaler l’incident à la police.
Kingombe Floribert, commissaire supérieur de la police de Kisangani, a affirmé que la ville a connu une « augmentation considérable » de la violence liée aux gangs depuis le début de la pandémie. Il n’a pas fourni de chiffres comparatifs sur la criminalité mais a noté une augmentation des vols, des vols à main armée et des extorsions. « Davantage de jeunes ont rejoint les gangs en raison des fermetures d’écoles dues au confinement », a déclaré Kingombe, qui a estimé que des centaines de petits groupes opèrent dans la seule ville de Kisangani.
Les écoles et les universités ont fermé dans toute la RDC en mars 2020, le pays s’est recroquevillé sur lui-même comme la plupart des pays du monde. Ils ont brièvement rouvert pendant deux mois l’année dernière, mais une troisième vague de COVID-19 les a contraints à une nouvelle fermeture jusqu’en février. « Seule la moitié des enfants en âge d’être scolarisés ont depuis repris le chemin de l’école dans toute la RDC », a déclaré Mesemo Wa Mesemo Thomas César, le Ministre de l’enseignement primaire et secondaire de la province de la Tshopo, dont Kisangani est la capitale. « Certains ont trouvé un emploi, d’autres font l’école buissonnière », a-t-il ajouté.
Le pic des agressions commises par des gangs à Kisangani fait partie d’une vague de criminalité plus large qui balaie la RDC. Goma, une ville située dans l’est du pays, a également signalé des violences croissantes, que certains mettent sur le compte des restrictions liées au coronavirus et des pressions qu’elles exercent sur l’économie. Vicar Batundi, vice-président de la société civile de Goma, a déclaré l’année dernière à Global Press Journal que la hausse du chômage poussait de nombreux jeunes de la ville à la criminalité.
À Kisangani, les autorités ont réagi en créant une commission chargée de lutter contre les gangs, réunissant pour la première fois les forces armées, la police et l’Agence Nationale de Renseignement. Depuis août, la commission a arrêté plus de 200 personnes âgées de 12 à 25 ans, dont une majorité d’adolescents. « Ces fauteurs de troubles doivent faire face à la rigueur de la loi pour servir d’exemple », a déclaré Kingombe.
La violence a transformé certains quartiers en zones interdites. En début avril, vers 18h30, Assumani Bohme, âgé de 38 ans, fonctionnaire, a été attaqué alors qu’il rentrait à pied de son travail.
« Un jeune garçon m’a arrêté pour me dire que son maître demandait des documents que je transportais dans mon sac à dos. Soudain, d’autres garçons sont apparus de tous les côtés, m’arrachant mon sac et menaçant de me tuer avec la machette qu’ils possédaient », a-t-il déclaré.
Assumani a remis son sac et a eu la chance de s’en sortir indemne. Le lendemain matin, il a signalé l’attaque à la police, qui a ouvert une enquête, mais aucune arrestation n’a été effectuée.
Au siège de la police de la Tshopo, le général Sabiti Abdala Patrick, commissaire divisionnaire adjoint, a affirmé que les gangs deviennent plus violents.
« Les services de sécurité sont déterminés à emprisonner ces voyous qui sèment la désolation au sein de la population », a affirmé M.Sabiti.
Débat enflammé au sujet des mesures contre la Covid-19 après une vague de criminalité
CLIQUEZ POUR LIRE L'ARTICLEMais des dizaines de parents se sont plaints que des enfants innocents ont été incarcérés dans le cadre de la répression.
Au début du mois d’août, une cinquantaine de mères et de pères se sont assis à même le sol à l’extérieur d’une prison du centre de Kisangani, attendant de parler à des officiers au sujet de leurs enfants détenus. Plusieurs pleuraient. Lituka Rose, mère célibataire de trois enfants, voulait dire à la police qu’elle avait arrêté par erreur son fils de 18 ans. « Il n’était pas dans ce groupe de gangs », a déclaré Lituka, une vendeuse de 38 ans. « Il est innocent », a-t-elle ajouté.
Lituka a déclaré que son fils avait été arrêté alors qu’il exerçait son métier de coiffeur, lors d’une descente dans une rue de la ville quelques semaines auparavant. Elle a déclaré n’avoir pas été autorisée à voir son fils et n’a pas les moyens d’engager un avocat pour l’aider. Au moment de la rédaction de cet article, il était toujours en prison.
Lotika God, coordinateur du Réseau des Associations Congolaises des Jeunes, un réseau d’associations de jeunes congolais, pense que les jeunes sont laissés pour compte par un gouvernement instable qui n’a pas donné la priorité à l’éducation. Il a affirmé que la RDC paiera un lourd tribut si elle n’agit pas rapidement pour leur offrir des opportunités. « Le développement d’un pays est étroitement lié au bien-être des jeunes », a ajouté Lotika, affirmant que l’État doit les aider à « jouer un plus grand rôle dans la société ».
Mesemo Wa Mesemo, le Ministre de l’éducation, a déclaré que les autorités ont lancé une campagne de sensibilisation publique en octobre pour inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école.
« Nous travaillons à la réduction progressive de cette catégorie d’enfants [non scolarisés] pour réduire la délinquance juvénile », a-t-il déclaré.
Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kiampi Kongopi, GPJ.