KISANGANI, TSHOPO—Quand son père a quitté ce monde, Thérèse Lakisi envoyé deux personnes qui ont pris un moto-taxi pour récupérer son corps.
Et pour cause ; son corps devait être enterré à Kisangani, soit à une distance de plus 200 kilomètres du lieu de décès. Conserver le corps pendant le voyage, c’était un choix obligé.
Ainsi, Thérèse a envoyé une moustiquaire imprégnée d’insecticide, car elle savait une chose : la moustiquaire allait protéger le corps contre les insectes nécrophages assez longtemps pour qu’il soit porté au dernier repos étant intact.
Ce n’est pas la première fois que Thérèse mise sur une moustiquaire pour conserver un cadavre. Il y a plus d’un an, la fièvre typhoïde ôtait la vie de son fils. Elle a aussi enveloppé le corps dans une moustiquaire. Selon elle, c’est un bon truc.
« Depuis que j’ai appris de ce système de conservation des corps à l’aide d’une moustiquaire, j’essaie de relayer cette information à d’autres personnes », explique Thérèse.
Kisangani compte deux morgues, mais celles-ci ont du mal à servir tous ceux qui veulent conserver les corps des leurs.
Selon Bernadette Furaha, ministre de la Santé publique du gouvernement provincial sortant, le gouvernement envisage de construire d’autres morgues à Kisangani. Mais ce projet a été mis en veille en attendant l’investiture d’un nouveau gouvernement provincial.
Même s’il y avait davantage de morgues, la facture élevée qu’implique le service de conservation de corps priverait bien des familles de ce service. La morgue privée des Cliniques universitaires de Kisangani reçoit quatre à cinq cadavres par jour, et la facture s’élève à 81 000 francs par jour par cadavre, annonce Jean Marie Bangala, gérant de cette morgue.
La morgue financée par le gouvernement à l’Hôpital général de Référence de Makiso-Kisangani a une capacité de conservation de quatre cadavres et le coût s’établit à 48 600 francs par jour. De plus, le traitement des corps coûte 15 000 francs.
Cescoûts sont prohibitifs dans une ville où beaucoup ne gagnent que quelques dollars par jour. Pour de nombreuses familles, les moustiquaires imprégnées d’insecticide sont l’unique solution réaliste pour conserver un corps en attendant l’inhumation.
Les corps non traités ne s’en tirent pas bien. Et les insectes sont les premiers arrivants – et en quelques heures, des mouches pondent leurs œufs dans le corps. Ces œufs éclosent et les asticots qui en sortent se régalent des tissus mous, et une décomposition rapide s’ensuit.
Mais les moustiquaires imprégnées d’insecticide contiennent de la perméthrine et de la deltaméthrine, deux produits chimiques qui tuent les insectes, affirme Samuel Bosongo, ancien chef de zone de santé de Lubunga.
Ces derniers mois, il y a eu beaucoup de moustiquaires. La ville de Kisangani a reçu un afflux de moustiquaires imprégnées d’insecticide en 2018 dans le cadre du lancement d’une campagne de lutte contre le paludisme menée par le Programme national de lutte contre le paludisme et soutenue par de nombreuses organisations internationales.
Les moustiquaires servent à repousser les moustiques porteurs du paludisme, explique Bene Amisa Antoine, coordinateur provincial du Programme national de lutte contre le paludisme, qui distribue les moustiquaires imprégnées d’insecticide.
Antoine conseille aux gens d’utiliser les moustiquaires pour leur but initial – repousser les moustiques – et rester loin des cadavres.
« Nous demandons aux populations de la ville de Kisangani de bannir cette pratique », confie-t-il, faisant allusion au recours à des moustiquaires pour la conservation de corps.
Malgré cette mise en garde par Antoine, la pratique gagne du terrain dans toutes les communautés à Kisangani.
En mars 2018, les membres de la famille de Joël Bafandu, ancien président de l’assemblée provinciale de la Tshopo, ont enveloppé son corps dans une moustiquaire imprégnée d’insecticide après sa mort subite. Le corps de Bafandu devait être transporté de Kisangani à Yaesuli, un village situé à plus de 230 kilomètres.
Aux dires de Carine Alafu, elle était sceptique quant à l’utilisation de moustiquaires de cette manière jusqu’au jour où elle a vu son voisin en utiliser une avec succès.
« Le corps entier tout couvert d’une moustiquaire a permis à mes voisins de garder deux jours durant le corps de leur membre de famille », révèle-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre.