RUBAYA, MASISI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO—Les montagnes arides couronnent cette région minière. Malgré l’apparence infertile que ces montagnes dégagent vues de l’extérieur, leur intérieur regorge abondamment de certaines des ressources les plus précieuses au monde.
Ici, on trouve la plupart des gisements mondiaux de coltan utilisé dans l’électronique moderne et la cassitérite, principal minerai de l’étain, et on assiste à l’extraction minière par de petites mains.
Des enfants et des adolescents, pieds nus, pataugent dans l’eau sale qui coule ici en provenance des collines, des bêches et des outils miniers d’amateurs à la main, sur le chemin de leur lieu de travail informel situé en contrebas des mines.
En RDC, la loi interdit l’exploitation économique des enfants et il est ainsi techniquement interdit à ces derniers d’accéder aux carrières au sommet des collines, même si ces carrières sont contrôlées par des exploitants miniers artisanaux . Mais tout en bas, les enfants âgés d’aussi peu que cinq ans passent leurs journées à s’entraîner à identifier les substances minérales et à les séparer du sable. Souvent, les parents se montrent indifférents tout en encourageant leurs enfants à chercher ces morceaux lucratifs. S’ils trouvent le butin, si peu soit-il, ils peuvent le vendre localement pour gagner du fric. Ici, en effet, où l’accès à l’emploi formel devient de plus en plus rare, les familles comptent sur leurs excavateurs amateurs pour pouvoir joindre les deux bouts.
Pour certains enfants, la distinction entre le travail dans la mine et le tamisage des substances minérales entrainées du sommet des collines reste poreuse.
Philémon Hanze, 15 ans, porte un t-shirt sale. Toute son attention est fixée sur l’eau boueuse devant lui, essayant de tirer le meilleur parti possible de ce qu’il appelle une mauvaise situation. Il a été autorisé à travailler dans les mines, mais avec les mesures répressives prises récemment par les autorités gouvernementales en partenariat avec les organisations de défense des droits de l’homme, il a été obligé de rejoindre les jeunes enfants au pied d’une colline.
«C’est ici que nous trouvons de l’argent par ce qu’il nous est interdit d’accéder aux mines dans lesquelles les adultes travaillent», dit-il.
Malgré l’immense richesse du sous-sol de la RDC, les gens ici vivent dans une pauvreté endémique. Dans Rubaya, la preuve patente de cette pauvreté est le nombre élevé de jeunes enfants ayant abandonné l’école ou qui se sont débrouillés tous seuls dès leur plus jeune âge.
La loi de 2009 interdit toute forme d’exploitation économique de toute personne âgée de moins de 18 ans et certaines des grandes mines ont débarrassé leurs sites des enfants pour se conformer à cette loi, même si elles ont refusé de confirmer le travail des enfants dans ces sites. Outre la loi de la RDC, l’Organisation internationale du Travail (OIT) déclare que l’exploitation minière est l’une des pires formes de travail des enfants en la définissant comme «tout travail qui, de par sa nature ou les circonstances dans lesquelles il s’exerce est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des enfants. »
Pourtant, 168 millions d’enfants sont pris au piège du travail des enfants dans le monde. Selon le Rapport mondial de l’OIT sur le travail des enfants paru en 2015, la RDC est l’un des 108 pays du monde et des 28 pays d’Afrique où les enfants sont assujettis à des travaux relevant des pires formes de travail des enfants.
L’exploitation minière artisanale, également appelée l’exploitation minière à petite échelle ou de subsistance, n’est pas réglementée dans de nombreux pays, y compris la RDC. On estime qu’environ 40% des 2 millions de personnes engagées dans l’exploitation minière artisanale en RDC seraient des enfants.
« Il n’est un secret pour personne que certains propriétaires de sites miniers préfèrent une main-d’œuvre bon marché, ce qui explique en grande partie la présence et le travail des enfants dans les mines en RDC, » déclare Janvier Murairi Bakihanaye, président de l’Association pour le Développement des Initiatives Paysannes (ASSODIP) et l’un des principaux chercheurs en droits de l’homme en RDC. « Les enfants sont également considérés comme une main-d’œuvre utile pour les travaux souterrains en se chargeant d’approvisionner l’outillage, des lampes de rechange et d’apporter divers matériels et de la nourriture aux mineurs. »
En août, Human Rights First, organisation de défense des droits de l’homme sans but lucratif, a décerné à Murairi une Médaille de la Liberté pour son travail de lutte contre l’esclavage dans le secteur minier en RDC.
«Les enfants sont appelés à travailler pour contribuer à la survie de leurs familles, même si cela peut nuire à leur santé mentale, physique et émotionnelle,» dit-il. «Le salaire des enfants, si maigre soit-il, représente une partie importante du revenu des familles pauvres.»
Dans Rubaya, la forte demande de coltan et le chant des sirènes faisant allusion aux salaires lucratifs poussent les enfants à abandonner l’école.
Le Coltan, abréviation pour columbite-tantalite, est un minerai radioactif reconnu pour sa dureté et sa résistance extrême à la chaleur et à la corrosion, ce qui en fait un composant clé dans de nombreux appareils électroniques (y compris les téléphones portables et les ordinateurs), dans les bombes intelligentes et la technologie aérospatiale. La RDC assure à elle seule près de la moitié de la production mondiale de tantale qui est extrait du coltan.
La sensibilisation accrue aux dangers auxquels sont confrontés les enfants dans les secteurs miniers a abouti à ce que Murairi appelle une «diminution importante» du nombre d’enfants travaillant dans le secteur minier formel.
Mais il existe pour les enfants d’innombrables autres façons de s’engager dans le secteur minier sans être officiellement employés par une mine.
Lorsque les ressources minières brutes sont extraites, ce sont les enfants qui se chargent souvent de leur transport à la rivière pour lavage et séchage. Certes, les enfants ne reçoivent que des sommes modiques pour ces tâches.
Même si ces enfants ne sont pas des employés formels d’une mine, il est illégal de les payer pour ces tâches ou d’acheter des substances minières qu’ils trouvent dans les flaques d’eau dans les mines, martèle Murairi.
«Tout cela est interdit par les initiatives locales, nationales et internationales», affirme-t-il. «Les enfants ne doivent pas se charger du travail dans la chaîne d’approvisionnement en minerais.»
Les autorités locales ont imposé des sanctions voire même des amendes à certains parents, mais les défenseurs affirment que punir les parents ne permet pas de résoudre le problème à la racine: la pauvreté.
Shangwe Fazili dit qu’il a du mal à dissuader son garçon de 12 ans de s’engager dans le lavage et la vente du coltan.
«Nos enfants sont habitués à travailler dans les mines. Ils y vont de leur propre gré et ont également l’habitude de travailler pour gagner de l’argent. Il s’agit d’une liberté à laquelle ils sont attachés.»
Fazili est menuisier à Rubaya. Quand la chance lui sourit, il trouve un client et gagne l’équivalent d’environ 5$, mais parfois il rentre bredouille.
«Mon travail ne peut me permettre d’acheter même une culotte ou des souliers pour mes enfants, car tout ce que je gagne sert à payer la nourriture,» dit-il. « Alors comment puis-je les empêcher de travailler si je n’ai rien à leur offrir? »
Les autorités locales disent qu’elles s’efforcent d’empêcher les enfants d’aller dans les mines.
«Les enfants qui travaillent dans les mines le font clandestinement et chaque fois que nous sommes mis au courant d’une telle pratique illégale, nous intervenons pour y mettre fin, » déclare Serkali Birhalo, chef du village dans Rubaya.
Pour Fazili, la solution ne consiste pas à empêcher les parents d’envoyer leurs enfants dans les mines ou à punir les parents qui ne peuvent empêcher leurs enfants d’y travailler. Selon lui, il faudrait plutôt consentir des efforts pour lutter contre la pauvreté.
«Le problème n’est pas d’empêcher les enfants de travailler, mais le vrai problème réside dans les conditions de vie difficiles des parents qui ne font que contraindre les enfants au travail,» explique Fazili.
Selon les populations locales, le problème des enfants qui pratiquent le lavage et le séchage des minerais dans Rubaya sera difficile à résoudre avant que les gens ne se soient débarrassés de la pauvreté.
«J’ai des clients,» dit Philémon avec fierté, exploitant minier de 15 ans. « Et il y a toujours des gens qui veulent acheter mon coltan. »
L’expérience de Philémon dans le métier s’avère indéniable à le voir s’enfoncer dans le sable. Il tire habilement le coltan de la flaque de sable devant lui. Une fois qu’il réalise quelques grammes, il part pour vendre son butin à des clients établis.
Il dit que même si le coltan tiré de l’extérieur des carrières peut être de moindre qualité, il y a toujours des gens qui veulent s’en offrir.
Philémon utilise l’argent qu’il gagne pour acheter des chaussures et des cahiers. Selon lui, gagner de l’argent l’aide surtout à se sentir utile. Il est fier quand il peut acheter le ndazi, type de beignet local et musururu, bière locale fabriquée à partir de sorgho.
Beaucoup d’enfants cherchent du travail informel dans la mine avant même d’arriver à l’adolescence.
Bosco, qui a requis l’anonymat pour ce qui est de son nom de famille de peur d’attirer des ennuis pour sa famille, vient d’atteindre l’âge de 15 ans. Il a abandonné l’école à l’âge de 9 ans et a, depuis lors, travaillé dans les mines de coltan.
« Après la mort de ma mère, j’ai été obligé de m’occuper de mes trois frères car mon père ne pouvait pas le faire seul ; alors j’ai commencé à suivre les autres chaque fois qu’ils partaient pour les mines, et ce, à l’insu de mon père. «Parfois, ils pouvaient me permettre ou refuser de me permettre de travailler. Tout dépendait de la personne qui était à la commande. »
Quand Bosco n’est pas dans les mines, il passe sa journée à chercher du coltan dans de petits ruisseaux au pied des collines.
«Même si on ne peut pas gagner plus d’argent dans les mines, je ne m’en sors pas si mal, et je ne peux pas manquer au moins [l’équivalent de] 2 $ chaque fois que je viens dans cet endroit», conclut-il.
Traduit de l’anglais par Ndayaho Sylvestre.