KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — À chaque lever de soleil, des femmes s’arment de leurs houes et se dirigent vers les champs.
Elles passent leurs matinées à faire le désherbage de champs de maïs et de haricots. Le travail est collectif, et aucune d’entre elles ne veut s’atteler seule à sa parcelle tout en choisissant ainsi de s’entraider pour rendre la tâche plus rapide. Et quand sonne l’heure de la pause, elles s’assoient toutes ensemble et parlent de tout.
Aujourd’hui, un seul sujet domine la conversation: les difficultés qu’ont plusieurs femmes membres du groupe à concevoir un enfant.
Partout en RDC, lorsqu’un couple a des difficultés à concevoir, on fait souvent porter le blâme à la femme – ou à la sorcellerie.
Pas mal de mariages se soldent par un échec quand la grossesse tarde à s’annoncer, explique Betiseba Kavira, propriétaire du champ où les 10 femmes prennent leur pause. Kavira a, quant à elle, eu des difficultés à concevoir son deuxième enfant, confie-t-elle.
« Après ma fille aînée, j’ai fait 12 ans sans espoir d’avoir un autre bébé. Mais, comme vous pouvez le voir, j’ai pu encore concevoir, » lance-t-elle avec enthousiasme en regardant son ventre.
Kavira explique pourquoi il lui a fallu si longtemps pour concevoir son deuxième enfant: elle avait été ensorcelée par des femmes qui avaient un faible pour son mari, révèle-t-elle. Elle s’est fait soigner dans un hôpital local, mais rien ne semblait l’aider à briser ce qu’elle pensait être une malédiction.
« Je suis allée à l’hôpital, mais rien n’a été fait pour m’aider », dit-elle. « Ce n’est que lorsque j’ai rencontré un guérisseur traditionnel que mes efforts se sont révélés fructueux ».
Les options de soins de santé sont limitées dans la région. Les femmes recourent souvent à des remèdes traditionnels pour leurs problèmes de santé de la reproduction. En l’absence de technologies de diagnostic et de médecins qualifiés, les femmes dans la localité disposent de peu d’options de soins et de traitement. Nombreux sont ceux qui pensent que l’actuel conflit dans la région est la cause numéro un du manque d’amélioration du système de santé du pays depuis des décennies.
Au cours des 30 dernières années, la situation politique et économique de la RDC s’est détériorée, avec des implications importantes pour les soins de santé. Selon un rapport du PNUD publié en 2012, les problèmes de santé de la reproduction étaient l’une des principales causes de décès chez les femmes en RDC.
Magy Katungu, 28 ans, n’est pas satisfaite de l’une ou l’autre de options de soins de santé qui s’offrent à elle. Prenant leur pause dans un champ loin de chez elle, elle se confie au groupe faisant savoir qu’elle ressent une douleur abdominale lors des rapports sexuels avec son mari.
Les membres du groupe offrent quelques suggestions. L’une lui conseille de faire bouillir les feuilles du millefeuille, puis de s’asseoir sur le liquide fumant matin et soir.
Plusieurs autres femmes approuvent ce remède.
Mais Katungu affirme être sceptique quant à son efficacité. Elle pense que les femmes de la région n’ont pas accès à des informations et à des diagnostics fiables en matière de santé de la reproduction. Elle veut consulter un spécialiste car elle a besoin d’un diagnostic confirmé.
Mais cela semble peu probable, confie Jacques Kamate Sikihimba, infirmier au Centre de Santé Vulinda, un centre de santé situé dans une zone de conflit à Kirumba, localité où l’on trouve des troupes rebelles opérant au nord de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Selon ses dires, des femmes fréquentent souvent le centre de santé pour des raisons des problèmes de santé de la reproduction, mais aucun spécialiste ne se trouve à la clinique, ce qui vient s’ajouter au manque de matériel de diagnostic. Et, pis encore, cette clinique est la seule en son genre connue ici.
Selon son témoignage, ils n’ont souvent pas d’autre choix que de transférer des patients à l’hôpital HEAL Africa, hôpital bien équipé situé à 107 kilomètres de Goma. De plus, avec l’insécurité dans la région, les gens sont obligés de voyager en convoi avec une escorte des Nations Unies pour arriver à Goma en toute sécurité.
Le Dr Coleen Kivlahan, spécialiste de Physicians for Human Rights, une ONG spécialisée dans le droit à la santé pour tous, partage le même avis. Elle travaille comme conseillère médicale et formatrice dans le cadre d’un programme sur la violence sexuelle en zones de conflit. Elle est également directrice principale de l’innovation des systèmes de santé à l’Association of American Medical Colleges.
Des médecins en milieu rural en RDC « travaillent dans des conditions incroyablement difficiles », fait-elle savoir. « Ils n’ont, en l’absence d’échographie, de tomodensitométrie ou d’IRM, qu’à se servir de leurs mains pour faire le diagnostic. Ils procèdent à un jugement approximatif sur base de ce qu’ils ressentent et voient ».
Et le bilan est qu’il n’est pas rare de constater des cas de mauvais diagnostic.
« Ce n’est pas comme s’ils avaient accès au New England Journal [of Medicine] », affirme-t-elle. « Il ne s’agit pas seulement de conflit; mais bien de la pauvreté. Cependant, encore une fois, il est essentiel de savoir que dans la plupart des situations de conflit ou de pauvreté, nous faisons le diagnostic en fonction des types de traumas ou de l’état du patient ».
Emeline Kahindo, 27 ans, a été diagnostiquée de myomes utérins, tumeurs non cancéreuses apparaissant souvent chez des femmes en âge de procréer, dans un hôpital local l’année dernière. Comme Katungu, elle ressentait une douleur au bas-ventre pendant les rapports sexuels.
« Chaque fois, je ressentais une douleur au bas-ventre. Quand je me suis rendue à l’hôpital, on m’a dit que j’avais développé des myomes utérins», explique Kahindo.
Mais pour Kivlahan, les myomes utérins sont particulièrement difficiles à diagnostiquer en RDC parce qu’ils exigent du matériel plus sophistiqué. Et ces dernières années, nombreuses sont les femmes ayant été diagnostiquées de myomes utérins à tort.
« Pendant un conflit prolongé comme en [RDC], la piètre qualité du matériel ne fait qu’exacerber les problèmes », dit Kivlahan quant aux défis posés par le diagnostic des problèmes de santé de la reproduction.
Mais il faudra aussi relever d’autres défis.
L’amélioration du diagnostic ou du traitement en RDC restera un rêve non exaucé si les médecins qualifiés ne trouvent pas d’emploi, explique le Dr Didier Butara, qui vient de ter déterminer une année d’études en santé publique en France.
Pour lui, il est rentré en RDC pour appliquer les compétences apprises en France. Il se heurte néanmoins à un obstacle majeur: le manque d’emplois payants pour des médecins qualifiés.
« Je veux mettre mes compétences et connaissances acquises en France au service de ma patrie », assure-t-il. « Or, malheureusement, je n’ai aucun moyen d’y arriver, parce que tout le système est si foutu que je ne peux même pas décrocher un travail ».
Mais des femmes de la localité aux prises avec des douleurs abdominales et, par conséquent, souvent incapables de concevoir, ne peuvent faire grand-chose dans bien des cas, même en cas de diagnostic correct.
Solange Kavugho, 30 ans, agent dans un secrétariat public, affirme avoir commencé à ressentir des douleurs au bas-ventre en 2013. Mais quand elle été diagnostiquée avec myomes, elle dit qu’elle n’avait pas les moyens de payer les soins prescrits par des médecins locaux.
« Je me suis fait soigner partout ici à Kirumba, mais mon état ne s’est pas amélioré », confie-t-elle. « À chaque jour qui passe, il devient évident que ma douleur augmente. Un médecin m’a donc conseillé d’aller me faire soigner en Ouganda, mais je n’ai pas de moyens ».
Pour d’autres, subir des interventions chirurgicales recommandées n’a apporté aucun soulagement.
« J’ai subi une intervention chirurgicale trois fois de suite », explique Espérance Katungu Mali, habitante de Kirumba. « Pourtant, à ma grande surprise, ma douleur est passée mais elle est revenue. Lorsque j’ai consulté mon médecin une fois encore, il m’a conseillé par la suite de consulter un spécialiste. Mais je suis trop pauvre pour me payer les frais de transport pour aller consulter un tel médecin », avoue Mali.
« Certains amis à moi conseillent que l’ablation de mon utérus sera mon seul salut. Mais je suis plongée dans le désespoir ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.