Democratic Republic of Congo

Quand un ingrédient clef de la médecine traditionnelle devient une denrée rare

Les établissements de santé en RDC sont rares et souvent hors de portée, et à son corollaire pour nombre d’habitants : recours à la médecine traditionnelle. Un ingrédient essentiel, lui aussi, se fait pourtant de plus en plus rare.

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Key Component of Traditional Medicine in Short Supply

Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Merveille Halisi arrange des œufs produits par des poules de race locale connue sous le nom de « kayira » pour les exposer dans sa boutique à Kirumba, dans le territoire de Lubero, en RDC. Ce type d’œuf, couramment utilisé en médecine traditionnelle, se fait de plus en plus rare.

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LUBERO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Dans le temps où Kavira Shalikowuwe était encore éleveuse de poules, elle mettait sa volaille sous clef dans sa chambre à coucher, et ce, la nuit, de peur que des voleurs n’en fassent leur butin. Le jour, elle pouvait laisser sa volaille rôder librement, mais à condition de rester elle-même à la maison. En décembre 2021, toutefois, elle voyait une maladie restée mystérieuse pour elle frapper toute sa couvée de poules. Malgré le recours à des consultations vétérinaires, toutes ses 25 têtes de volaille ont été décimées, l’une après l’autre. Aujourd’hui, elle ne pratique plus l’élevage de poulet chez elle.

Les poules de Shalikowuwe appartenaient à une race traditionnelle connue localement sous le nom de « kayira ». Non seulement cette race est-elle un mets délicat et une source de revenus pour ses éleveurs, mais en plus, ses œufs restent un ingrédient de poids pour les praticiens de la médecine traditionnelle.

Cette race est une ressource qui se fait de plus en plus rare dans le sud du territoire de Lubero, dans l’est de la RDC. Et pour cause : la survenance de maladies et l’augmentation des cas de vol constituent un coup dur pour la médecine traditionnelle. Et pourtant, l’exercice de cette médecine contribue largement au système de santé dans le pays.

Kiza Biamungu qui, depuis 20 ans, pratique la médecine traditionnelle dans la commune de Kirumba, dans le sud du territoire de Lubero, dit que les herboristes se servent de ces œufs pour traiter pas mal de maladies, au nombre desquelles la gastrite, la crise cardiaque, le kwashiorkor et la toux. Aussi ces œufs sont-ils utilisés dans la régulation de la pression sanguine et la purification des reins. L’œuf cru est soit utilisé en mélange avec d’autres ingrédients et administré aux patients, soit pris seul, dit-il.

Les praticiens sont aujourd’hui en peine de savoir comment offrir des soins, dit Kakule Shalyamubana, herboriste à Kirumba. « Je ne sais plus comment soigner certaines maladies avec efficacité ».

Avant l’arrivée de la pénurie, la plupart des praticiens de la médecine traditionnelle avaient des œufs en stock, mais aujourd’hui, dit Biamungu, la gravité de la pénurie est telle qu’ils exigent aujourd’hui des bénéficiaires de leurs services qu’ils apportent leurs propres œufs. Il affirme que, quoiqu’incapable de préciser à quel moment elle a commencé, la pénurie ne fait qu’empirer.

Si des importations d’œufs de races de poules en provenance d’autres pays comme l’Ouganda sont disponibles, ces œufs ne sont pourtant pas utilisés dans la fabrication de médicaments traditionnels car, aux dires des habitants et des tradipraticiens, ils sont de piètre qualité, dit Biamungu.

On sent bien cette perception des habitants dans la façon dont se fait la fixation du prix des œufs par des vendeurs. Avant la pénurie, un œuf de race locale se vendait entre 200 et 300 francs congolais (environ 10 à 15 cents). Aujourd’hui, le prix du même œuf s’élève à 800 francs (40 cents), tandis qu’un œuf de race importée coûte moins de la moitié de ce prix, soit environ 300 francs (15 cents).

La RDC n’est pas la seule à recourir à l’œuf cru pour le traitement. Dans la Perse antique, les œufs crus étaient utilisés en tant que médicaments à usage topique pour éliminer des gonflements et des furoncles. Et les patients souffrant de morsures de serpent avaient l’habitude de l’avaler à petites gorgées, lit-on dans une étude réalisée en 2020 et publiée dans la revue Food Therapy and Health Care. En Indonésie, on reconnaît au jaune d’œuf cru et à l’huile de coco la vertu de parfois hâter l’accouchement d’un enfant. Dans le centre de la Turquie, un œuf entier est laissé dans du jus de citron pendant 24 heures, jusqu’à ce que la coquille se dissolve, et est pris avec de l’huile d’olive pour se débarrasser des calculs rénaux. Une thèse présentée en 2007 à l’université de Mahajanga à Madagascar a révélé que les œufs crus étaient couramment utilisés pour soigner les enfants empoisonnés par l’absorption du pétrole.

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Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC

Kakule Shalyamubana, à gauche, herboriste, prépare des médicaments pour Gentille Kahindo Wasalinyuma à Kirumba, territoire de Lubero, en RDC.

Biamungu craint que si la pénurie persistait, nombre de gens qui dépendent de la médecine traditionnelle en paieraient le prix. Selon le plan 2019-2022 du ministère de la Santé,la médecine traditionnelle est souvent, face au manque d’établissements de santé et à l’accès limité aux soins de santé en raison des difficultés économique, l’option de premier recours dans plusieurs régions de la RDC.

Samweli Visogho, habitant de Kirumba ayant récemment subi une opération chirurgicale, affirme se retrouver dans l’incapacité de soigner une plaie qu’il a développée après cette opération. Quoiqu’il se soit d’abord rendu dans un établissement de santé moderne, le traitement qu’il a reçu s’est révélé inefficace.

« Le soignant m’a conseillé de consommer un œuf de la poule locale chaque jour », dit-il. « Mais je n’y arrive pas à cause de [la carence] de ces œufs qui les rend chers ».

Le vol est à pointer du doigt en tant que l’une des causes de cette pénurie, dit Kamate Kasayi Flavien, vétérinaire à Kirumba. Les agriculteurs dans cette région ont généralement du mal à pratiquer l’élevage d’animaux en raison des vols qui y sont fréquents. Cette race particulière fait souvent l’objet de vol, dit-il. Face à la rareté des opportunités d’emploi en RDC où le taux de chômage se situe à 23 %, Kasayi attribue ce genre de vols au manque de dynamisme de la part des jeunes.

Ce vol qui devient de plus en plus répandu a poussé Pauline Kahambu Muhanya à renoncer à l’élevage de poules. « Mes poules étaient toujours régulièrement dérobées ». Après le dernier incident, dit Muhanya, elle a dû laisser tomber cet élevage.

« Et pourtant, ces animaux m’aidaient beaucoup. Je recourais surtout à leurs œufs pour mes problèmes d’estomac, et je vendais le reste pour mes besoins ».

Benjamin Kasereka Mulavi, bourgmestre adjoint de la commune de Kirumba, confirme l’augmentation des cas de vol. Quoique les autorités aient arrêté quelques personnes et aient éduqué les habitants pour éradiquer ces vols, il affirme que les habitants ont eux aussi un rôle à jouer.

« Ce sont toujours nos enfants qui volent nos poules et nos biens. Ce ne sont pas des gens qui viennent de loin », dit-il. Puisque les habitants savent qui sont les voleurs, ils « doivent prendre l’habitude de dénoncer les malfaiteurs », ajoute-t-il. « Nous avons l’obligation de sécuriser notre entité ».

D’autres causes sont à l’origine de la pénurie. Il existe une perception répandue localement selon laquelle les poules de race locale sont une proie facile pour des maladies, parmi lesquelles la grippe aviaire, ce qui pousse les agriculteurs à préférer l’élevage d’autres races qui, pourtant, ne sont pas utilisées dans la médecine traditionnelle.

« Ils pensent qu’elles tombent souvent malades », explique Kasayi, vétérinaire.

Quoique Kasayi souscrive au fait que la race de poule « kayira » est vulnérable à des maladies, il affirme que les habitants pourraient facilement résoudre le problème s’ils faisaient vacciner leurs poules, chose qu’ils font rarement. « Ce sont elles qui résistent mieux aux maladies lorsqu’elles sont bien élevées ».

Pour lui, c’est l’ignorance qui est à l’origine de ce faible taux de vaccination, et il ajoute que lui et ses collègues ont sensibilisé les habitants par le biais de campagnes radio. Il leur conseille de consulter des vétérinaires sur la meilleure façon de prendre soin de leurs poules.

Mathe Kakule Baraka, praticien de la médecine traditionnelle à Kirumba, dit qu’entre-temps, il utilise du miel en tant qu’alternative. Mais ce choix n’est pas toujours une solution crédible.

Merveille Kavira Luneghe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.