KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Fatuma, dont le mari est décédé il y a 5 ans, elle s’est reconvertie dans l’abattage d’arbres, l’une des activités les plus lucratives de la province de la Tshopo, au nord-est de la RDC. Cette mère de 36 ans, qui a requis que seul son deuxième prénom soit utilisé par peur d’arrestation, affirme qu’elle gagne jusqu’à 157 000 francs congolais par mois.
« Aujourd’hui, grâce à la vente d’arbres je peux enfin être capable de prendre soin de mes enfants », glisse-t-elle.
Toutefois, le business de Fatuma et celui d’autres habitants dans cette partie densément couverte de forêts de la RDC allant prospérant, on assiste aux menaces des risques juridiques et environnementaux.
L’abattage d’arbres est réglementé par le ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme. Des exploitants artisanaux de bois sont tenus de payer 943 000 francs pour un permis valable pour cinq ans. De l’avis de Fatuma, pourtant, cette somme dépasse son revenu mensuel.
Selon la loi, l’abattage sans permis emporte une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ou une amende de 10 000 à 6 500 dollars, ou les deux.
La RDC abrite la deuxième plus grande forêt pluviale du monde, avec des millions de personnes dont la subsistance serait impossible sans ses arbres. Le massacre des arbres accélère la déforestation, affirment les responsables. Mais les petits exploitants de bois, parfois sans permis, continuent de couper et de vendre des arbres. Le processus d’obtention d’un permis est coûteux et empreint de corruption, disent-ils.
L’abattage d’arbres est tout particulièrement fréquent dans le bassin du Congo, une forêt tropicale qui s’étend sur plusieurs pays dont le Gabon, le Cameroun, la Guinée équatoriale et la RDC. Et la RDC compte, à elle seule, plus de 60 pourcent de cette forêt.
Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2013, l’exploitation forestière dans le bassin du Congo a un impact minime sur la dégradation des forêts et la déforestation. Les taux annuels de déforestation en RDC sont toujours restés faibles, mais ils ont atteint près de 2 pourcent entre 2010 et 2014, selon l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale.
Les concessions forestières industrielles dans le bassin du Congo, souvent étrangères, représentent jusqu’à 60 millions d’hectares sur les 300 millions d’hectares de forêts, selon le Global Forest Atlas de l’Université de Yale. Selon les fonctionnaires et experts locaux, les exploitants artisanaux de bois sont de plus en plus nombreux dans cette partie du pays et leurs activités ne sont pas durables.
Selon Bob Samuniange, inspecteur au siège provincial du ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, l’exploitation forestière produit de plus en plus un effet dommageable sur l’environnement. Les espèces indigènes de plantes et d’arbres, y compris Afromosia, se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main, car elles font l’objet de toutes les convoitises chez des exploitants de bois, constate-t-il.
Deux types de permis de coupe de bois, communément appelés permis de coupe de bois artisanaux, sont délivrés aux exploitants artisanaux de bois. Samuniange fait savoir qu’un permis de cinq ans coûte 943 000 francs.
Pourtant, certains ne peuvent pas se permettre le prix du permis. Quoique l’abattage d’arbres sans permis soit un business pour certains, les experts disent que le secteur informelle de production de bois favorise une croissance économique limitée à travers l’Afrique.
À Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, jusqu’à 100 personnes coupent des arbres chaque jour, explique Samuniange. Les exploitants de bois vendent le bois aux constructeurs pour la fabrication des meubles et d’autres articles ménagers ou pour la production d’énergie.
Antoine Kobongo, président de l’Association des exploitants de bois artisanal de la Tshopo, affirme que mettre la main sur les responsables de l’abattage clandestin n’est pas chose facile parce qu’ils achètent le silence des habitants, évitant ainsi leur dénonciation aux autorités.
« Que tu sois légal ou illégal, tu dois payer quelque chose », déclare-t-il.
« Quand les coupeurs de bois arrivent, on nous donne de l’argent et la pagne de peur que nous les dénoncions pas aux autorités leurs méfaits dans nos forêts », explique Irène Mafi, qui vit près d’une zone boisée. Ces coupeurs de bois soudoient également les chefs tribaux avec des chèvres, du sucre, du café et des matériaux de construction, explique Fatuma.
Des fonctionnaires eux aussi exigent des pots-de-vin. Un inspecteur forestier au ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, qui s’est confié sous couvert de l’anonymat par crainte de perdre son emploi, affirme que certains de ses collègues acceptent l’argent des exploitants de bois clandestins. Par moments, ils exigent même de l’argent supplémentaire pour délivrer des permis, ajoute-t-il.
« La corruption est une menace sans précédent qui risque de rayer notre forêt de la carte, si rien n’est fait pour l’arrêter », prévient-il.
La réglementation de l’abattage d’arbres est un défi à cause des pots-de-vin, précise Samuniange.
« Il n’est pas facile d’attraper ceux qui abattent illégalement nos forêts, car ils agissent avec la complicité et le soutien des communautés environnantes », dit-il.
D’autres déploient des efforts pour freiner l’abattage illégal d’arbres. Alphonse Mahindo, coordinateur au bureau provincial de Tropenbos International, un organisme à but non lucratif fondé en Hollande, affirme que l’éducation du public constitue un élément clé. De par ses campagnes, son organisation sensibilise les sections locales à la gestion forestière et aux pratiques responsables d’exploitation forestière. Selon Mahindo, les autorités devraient également rendre des comptes une fois pris en fragrant délit en train de recevoir des pots-de-vin.
« Nous sommes là pour surveiller comment se passe l’abattage », assure-t-il. « Nous voulons faire en sorte que la fraude soit diminuée, et pourquoi pas éliminée? ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.