KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : À 7 heures du matin dans la commune de Kabondo à Kisangani, le calme du petit matin se mélange parfois avec des cris « Ouwwwoooooo » !
On dirait presque une réaction après un but de foot. Pourtant, ces explosions de joie au cœur de l’une des plus grandes villes de la RD Congo surgissent parce que les habitants voient des lampes électriques clignoter, généralement après des coupures d’électricité de plusieurs jours. Pourtant, ces hourras ne sont qu’éphémères.
« Ça fait deux jours que nous n’avons pas de courant », s’alarme Crispin Kalokola, technicien et père de sept enfants. « Comment pourrais-je travailler et avoir de l’argent alors que c’est la seule activité qui m’aide à subvenir aux besoins de ma famille ? »
Le délestage ou la suppression momentanée de l’alimentation électrique de différents secteurs du réseau dans une communauté est devenu un phénomène régulier à Kisangani. Selon Kalokola, ceci est à l’origine d’importantes répercussions. Il doit de l’argent à la Société nationale d’électricité et ses clients se font une idée négative de lui en raison de son incapacité à finir son travail.
Voir que Kisangani abrite l’une des 11 centrales hydroélectriques de la RDC, voilà ce qui fait grimper la frustration de Kalokola. La SNEL est responsable de la centrale sur les chutes de la rivière Tshopo qui, en théorie, devrait produire suffisamment d’électricité pour alimenter une ville de plus d’un million d’habitants. Mais des coupures d’électricité restent le lot quotidien de milliers d’habitants, ce qui menace leurs moyens de subsistance et met en péril leur sécurité.
Le gouvernement ayant décidé la fermeture des commerces non essentiels et des écoles, le coronavirus n’a fait qu’aggraver la situation économique.
Le délestage touche près de 29 000 à 30 000 clients chaque jour, explique Aguzu Félicien, directeur financier de la SNEL. Il y a son corollaire qui est la paralysie et l’arrêt réguliers de plusieurs activités. Non seulement il crée des désagréments mais il a fait au moins une victime. En novembre, la vie d’un couturier de Kisangani a été fauchée lorsque ce dernier essayait de réparer une panne technique dans une cabine non loin de sa boutique.
Plusieurs habitants de Kisangani accusent la SNEL d’être responsable des pénuries d’électricité qui, selon eux, découlent de l’incapacité de cette société à s’acquitter de sa mission. Un employé de la SNEL qui a requis l’anonymat par crainte d’être licencié pour s’être confié aux médias, déclare que la société compte sur des équipements vétustes que les autorités tentent de réparer lors de pannes de courant, mais qui finissent par cesser de fonctionner complètement. Aussi quelques clients affirment-ils que les consommations d’électricité qu’on leur facture de manière forfaitaire sont bien supérieures à la réalité de leurs consommations, et ce, à cause du manque de compteurs.
Nathan Chirimwami, chef de division de la gestion réseau de distribution de la SNEL, affirme que la croissance de Kisangani est à l’origine du problème. Selon lui, cette centrale hydroélectrique a vu le jour avant l’indépendance pour répondre aux besoins en électricité d’une population peu nombreuse à l’aide de deux machines d’une capacité installée de 19,65 mégawatts. Aujourd’hui, pourtant, la SNEL produit moins de 10 mégawatts alors que les besoins en électricité de la ville ont connu une augmentation bien plus élevée.
Selon Félicien, directeur financier de la SNEL, un autre problème réside dans le fait que l’on a l’impression que sa société cherche à duper le public. La SNEL, affirme-t-il, est motivée par la prestation de services au peuple et non par un quelconque appât du profit.
« Contrairement aux gens sous d’autres cieux, la population de la ville de Kisangani paie la facture moins chère, soit moins de 5 dollars par mois », confie-t-il. « Et pourtant, pour remplacer un câble d’un kilomètre, il faut avoir au minimum 85 000 dollars, et pour construire une cabine il faut avoir au minimum 100 000 dollars ».
En un mot, glisse Félicien, il n’y a qu’une solution, c’est de construire une autre centrale.
« Que les autorités nationales s’impliquent dans cette situation, car la SNEL seule ne peut rien », conseille-t-il.
Les autorités rétorquent qu’elles s’impliquent déjà. L’amélioration des conditions de vie du peuple congolais fait partie des priorités du pays, et cela inclut l’électricité, déclare Lomalisa Monde George, ministre provincial de l’énergie.
Entre-temps, les habitants n’ont pourtant aucune idée de ce que l’on attend d’eux.
Bonui Talemba, machiniste travaillant dans une rizerie, déclare que les coupures de courant ne lui laissent aucune chance de s’acquitter de ses responsabilités familiales. Lorsqu’il ne peut pas transformer les grains, il ne peut ni payer les frais de scolarité ni nourrir ses enfants.
« Quand il n’y a pas d’électricité, je suis démoralisé », confie Talemba.
Marie Kapita, femme de ménage, déclare que les ménages en font les frais, car les prix des denrées de base partent à la hausse en raison des pénuries d’électricité. Chaque fois qu’elle se rend au marché, dit-elle, elle est choquée par les prix.
« Je suis prise dans l’imprévu, car je devais acheter sept gobelets de riz, mais je n’ai acheté que cinq gobelets », explique Kapita.
Quelques privilégiés profitent de ces coupures.
Kabondo ne bénéficie que d’une fourniture d’électricité relativement stable les samedis et dimanches, et cela est en quelque sorte une source d’aubaine pour ceux qui tiennent des commerces de recharge de téléphones.
« Je suis content de ce phénomène », explique Héritier Dunia, propriétaire d’une maison d’édition et qui se fait payer pour l’entretien des équipements électriques. « Alors durant la semaine, j’allume mon groupe électrogène pour recharger les téléphones et autres équipements électroniques, et je vis de ça ».
Dans d’autres parties de Kisangani, c’est encore pire. D’après certains habitants, ils sont privés d’électricité depuis des mois, voire des années.
« Je n’ai jamais vu le courant de mes propres yeux, je ne sais pas si la SNEL existe », lâche Yannick Tonoki, habitant de la commune de Makiso, située dans le centre de la ville.
Il avait pour habitude d’utiliser un groupe électrogène mais le carburant était trop coûteux. Il a fini par renoncer et ainsi installer un panneau solaire.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.