Democratic Republic of Congo

Des ex-travailleurs manifestent au quotidien depuis 2013, mais la province n'entend pas verser leurs décomptes finals

Le Complexe sucrier de Lotokila, dans la province de la Tshopo, en RDC, a fermé ses portes en 2010, mais les décomptes finals qu'exige la loi restent impayés aux dépens des ex-travailleurs. Le complexe appartenait en partie au gouvernement provincial, et depuis 2013, pas un jour ne passe sans que l'on assiste à des manifestations d'un groupe comptant jusqu'à 150 personnes, ex-travailleurs et leurs veuves confondus, demandant au gouvernement de verser leur dû. Pourtant, le gouvernement n'entend pas céder.

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Protesting Daily Since 2013 Ex-Workers Fail to Get Severance Pay from Province

Francine Ishay Mulumba, GPJ RDC

Depuis 2013, il ne se passe un seul jour sans qu'un groupe comptant jusqu'à 150 personnes manifestent pour revendiquer les décomptes finals qui leur sont dus par le Complexe sucrier de Lotokila, usine ayant aujourd'hui fermé ses portes. Cinquante-neuf manifestants sont morts depuis le début de la manifestation, et leurs veuves se sont mobilisées aujourd'hui pour recouvrer leur dû.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il y a trois ans, le mari d’Anny Paonie est mort, et elle a pris sa place dans des manifestations quotidiennes de pas moins de 150 personnes sur la Place des Martyrs au centre-ville de Kisangani.

Le groupe proteste chaque jour depuis 2013 pour réclamer les décomptes finals non encore réglés depuis longtemps, et ce, au grand dam de 893 ex-travailleurs du Complexe sucrier de Lotokila, une raffinerie sucrière qui appartenait en partie au gouvernement provincial et qui, confrontée à d’énormes difficultés en 1993, a fermé définitivement ses portes en 2010.

Paonie, 62 ans, n’a jamais travaillé à la raffinerie, mais elle manifeste pour le décompte final de son feu mari. Quand la raffinerie fonctionnait encore, son mari était chargé de la livraison de sucre aux clients, raconte-t-elle. Il restait l’unique soutien de la famille.

Assise sur son pagne rouge et son visage appuyé sur sa main, Paonie affirme que la seule façon de rendre hommage à son mari est de continuer à se battre pour son dû.

« Je ne me lasserai jamais de revendiquer les arriérés de mon défunt mari », assure-t-elle. « C’est ma seule chance de lui rendre justice, car lui aussi revendiquait ce même dû chaque jour jusqu’au moment où il a quitté ce monde ».

Les manifestations quotidiennes, qui en sont dans leur cinquième année aujourd’hui, durent depuis tellement longtemps que parmi les premiers manifestants, 59 ne sont plus parmi nous, et leurs veuves ont pris le relais aujourd’hui et continuent à se battre pour les décomptes finals de leurs défunts bien-aimés.

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Francine Ishay Mulumba, GPJ RDC

La Place des Martyrs à Kisangani est pleine de manifestants chaque jour. Le maire de la ville affirmant que son pouvoir a des limites, le gouvernement provincial, lui, déclare qu'il n'a plus d'argent pour régler les revendications.

« Cinquante-neuf personnes, toutes des hommes, sont décédées des suites d’une angoisse accrue qui a rongé leur vie », déclare Roger Bosongo Wesinga, président du comité de défense des droits des travailleurs à la tête des manifestations.

Le Complexe sucrier de Lotokila a vu le jour en 1973 en tant qu’entité publique-privée détenue en copropriété par le gouvernement provincial et une société chinoise. À ses heures de gloire, la raffinerie comptait des milliers d’hectares de plantations de canne à sucre et plus de 3 000 travailleurs à Kisangani, l’une des plus grandes villes de la RDC et chef-lieu de la province de la Tshopo. En 1993, la raffinerie a connu d’énormes difficultés lorsque la société chinoise a plié bagage en raison de l’aggravation de la crise économique conjuguée aux troubles civils croissants partout dans le pays. Les représentants du gouvernement provincial s’interdisent de dévoiler le nom de l’entité chinoise qui était copropriétaire de la sucrerie.

Le Complexe sucrier de Lotokila a fermé ses portes en 1993, retenant seulement 300 employés chargés de s’occuper des champs de canne à sucre. En 2010, la sucrerie et les champs ont fermés pour de bon.

Selon la loi locale, les sociétés doivent – en cas de liquidation – verser les décomptes finals, aussi connus sous le nom d’indemnités de départ, au profit de tous les travailleurs en fonction de leur poste et de leur nombre d’années de service. La raffinerie appartenant au gouvernement provincial, le code du travail exige que la province de la Tshopo paie tous les employés en cas de cessation définitive des activités de la sucrerie.

Le gouvernement provincial a réglé des revendications pour certains travailleurs à qui il a versé une indemnité forfaitaire de 200 dollars, indépendamment de leur poste ou de leur nombre d’années de service dans l’usine.

« Ils ne cessent de nous répéter que nous devons attendre et nous ignorons combien de temps doit durer notre patience », confie-t-il.

Lorsque les manifestations quotidiennes ont débuté en 2013, il est devenu évident que le problème était loin d’être réglé.

En 2014, la direction générale du portefeuille public, un organe du ministère des Finances qui assure la tutelle des sociétés en RDC, a repris l’enquête, reconnaissant que le gouvernement provincial ne disposait pas de fonds pour régler d’autres revendications.

Depuis leur enquête en 2014, les travailleurs n’ont reçu aucune communication quant au versement. Et voilà pourquoi les manifestations quotidiennes ne faiblissent pas.

Jean Camille Bolabola, père de 15 enfants âgé de 85 ans, dit qu’il ne sait pas combien de temps il peut encore attendre.

Il a été superviseur à la raffinerie pendant 27 ans. Il affirme avoir reçu les 200 dollars en 2013 lorsque le gouvernement provincial tentait de régler leurs revendications, mais que ce montant est de loin inférieur aux 12 000 dollars qui lui sont dus vu le nombre de ses années de service.

Il affirme répondre au rendez-vous à la Place des Martyrs chaque jour, espérant que la justice triomphera.

« Je suis ici depuis quatre ans et trois mois pour faire part de mes revendications », dit-il. « Pour moi, l’espoir d’un avenir meilleur est loin d’être réalité. Nous avons été dépouillés de nos emplois qui étaient notre seul moyen de nourrir nos familles, mais le gouvernement refuse de nous indemniser ».

De l’avis des manifestants, les manifestations quotidiennes ne sont pas sans conséquences.

Germaine Pawele, 58 ans, a récemment intégré le groupe. Elle a commencé à y prendre part en 2017 après la mort de son mari, ex-travailleur de la raffinerie.

« Ça fait quatre mois aujourd’hui que mon mari est mort, et lui aussi a passé une grande partie de son temps ici », révèle-t-elle. « Et c’est pourquoi je me battrai pour nos droits jusqu’à mon dernier souffle ».

Charlie Atshali, 57 ans, fait elle aussi partie du nombre croissant de veuves qui se sont ralliées aux manifestants. Selon elle, l’âme de son mari ne peut reposer en paix sans que sa famille n’obtienne justice.

« Je suis ici depuis la mort de mon mari parce que je dois faire part de mes revendications aux côtés d’autres confrontés aux mêmes problèmes que moi. Je dois réclamer pour lui », annonce-t-elle.

Pour le maire de Kisangani, Augustin Osumaka Lofanga Koy’okenge, les manifestations persistantes sont frustrantes puisque l’usine, bien que située dans la ville, appartenait au gouvernement provincial.

« Mon pouvoir de maire a des limites quant à la recherche d’une solution à ce problème », avoue-t-il. « Je suis comme un crapaud devant un éléphant ».

Wesinga, qui est à la tête des manifestations depuis 2013, dit qu’ils intensifient leurs efforts et multiplient des manœuvres comme l’envoi régulier des représentants à Kinshasa, la capitale, pour tenter de rencontrer des représentants des ministères du Travail et des Finances.

« Nous sommes arrivés à un point tournant, et trop c’est trop. Nous appelons le gouvernement à sentir notre douleur et à faire quelque chose pour y remédier », dit-il.

À en croire Paonie, elle se demande combien d’autres personnes devront mourir avant que le gouvernement provincial ne règle sa dette envers ses anciens salariés.

« Après plusieurs années de dur labeur dans la raffinerie, nos maris sont morts sans avoir jamais entendu parler de la moindre chance de recouvrer leurs impayés », s’insurge-t-elle.

Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.