KALUNGU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Aline Rachari, 17 ans, sait quelque chose, jamais personne ne peut, en réalité, savoir ce que la vie lui réserve, confie-t-elle.
Jamais elle n’aurait imaginé que son simple rêve de finir ses études et démarrer son business puisse être brisé par son enlèvement par un groupe rebelle, dit-elle.
« Je voulais devenir une femme commerçante après mes études », raconte Rachari.
Un jour, en 2016, elle, fidèle à son rêve de démarrer un business, et cinq de ses amies se rendaient à un marché local pour vendre des haricots et un groupe de jeunes s’est approché d’elles. Et quand elles ont été enlevées et emmenées de force au fin fond des collines autour de Numbi, à environ 25 kilomètres de chez elle à Kalungu, dans la province du Nord-Kivu, elles ont, révèle-t-elle, bien compris que ces hommes appartenaient à un groupe armé Nyatura qui est particulièrement actif dans la région.
Une fois entrées dans les collines, leur rôle dans le groupe armé Nyatura s’est énoncé sans équivoque.
« Arrivée dans la brousse, le rebelle qui avait fait de moi sa proie m’a demandé d’enlever mes vêtements », raconte Rachari. « Et mon rêve de me marier un jour avec un homme que j’aime s’est envolé en fumée ».
Ainsi, ce fut pour elle le début d’un nouveau rythme de vie. Tous les matins, ces filles se levaient tôt pour préparer à manger, nourrir leurs bourreaux et ensuite avoir des rapports sexuels avec le plus grand nombre possible de ces derniers.
« À chaque rapport sexuel, je ressentais une douleur insupportable », glisse-t-elle. « Je pleurais silencieusement car j’avais trop peur qu’il me tue ».
Très vite, l’heure est venue pour le groupe rebelle d’alourdir le fardeau de leurs proies.
« Nous étions forcées d’apprendre le tir au fusil – que cela nous plaise ou non », relate-t-elle. « Ils nous disaient que nous devions savoir tout ce qu’ils savaient faire ».
Toujours sur le qui-vive pour saisir la chance de s’échapper, Rachari dit qu’elle et son amie, Francine, ont vu cette chance leur sourire près d’un an plus tard lorsque le groupe a été pris sous le feu des troupes gouvernementales congolaises.
« Nous avons toutes vite fait de nous échapper. Pendant que l’on fuyait, les balles crépitaient de tous côtés. Fort heureusement, toutefois, mon amie Francine et moi nous sommes retrouvées entre les mains de la MONUSCO », relate-t-elle.
« Ces troupes nous ont évacuées, mais le sort des trois autres filles reste un mystère pour moi jusqu’à ce jour », annonce-t-elle.
Quoiqu’elle se soit échappée de ses ravisseurs, le retour dans sa famille à Kalungo est un rêve chimérique, confie-t-elle.
« Je suis certaine que l’effroyable nouvelle de mon sort s’est propagée comme une traînée de poudre et que tous mes amis savent que j’ai été violée par les Nyatura », raconte Rachari.
Dans la province du Nord Kivu en RDC, il ne se passe pas une année sans que des milliers d’enfants soient enlevés par des groupes armés. Même une fois sauvées ou libérées, des jeunes filles affirment que leur vie ne peut jamais revenir à la normale car la stigmatisation entourant leur enlèvement les empêche d’être bien accueillies dans leur famille, de se marier ou de fonder leurs propres familles.
L’est de la RDC est le théâtre de conflits à caractère politique et ethnique depuis des décennies.
Depuis 2013, plus de 3 000 enfants ont été libérés de groupes armés, selon la MONUSCO, mission de maintien de la paix de l’ONU en RDC.
Selon Eric Lunduge, chargé de base de données au Programme d’appui à la lutte contre la misère (PAMI), organisation non gouvernementale locale active dans le domaine du soutien au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion des enfants libérés des groupes et forces armés, plusieurs de ces enfants ne bénéficient d’aucun service de réinstallation ou d’intégration.
Mais la plupart des enfants qui bénéficient de ces services sont des garçons, dit Lunduge.
Seulement 43 filles ont été soustraites aux groupes armés et reçu des services pour l’exercice 2016-2017, dit Lunduge.
Les filles représentent 30 à 40 pourcent des mineurs recrutés et enrôlés dans des groupes armés, selon un rapport publié en 2017 par Child Soldiers International suivant son enquête menée dans l’est de la RDC en 2016.
Bienvenu Buhendwa, 39 ans, superviseur au PAMI, affirme que les campagnes de sensibilisation sur la réintégration des filles dans leurs communautés d’origine avec le soutien et l’acceptation revêtent une importance cruciale.
« Notre communauté est portée à croire que les filles sorties des forces et groupes armés sont à éviter et à négliger », déplore-t-il, à propos des violences sexuelles éventuelles subies.
Ce fut le cas pour Vovo Mabiako, 28 ans, qui a quitté les rangs des de l’Armée populaire congolaise en 2005 au bout de presque sept années d’enrôlement forcé.
« Ma vie au sein du groupe armé n’était que souffrance », explique-t-elle. « Ils ne m’apprenaient qu’à manier les armes, à tuer et à faire le combat et, pour couronner le tout, j’étais juste un objet sexuel des commandants ».
En 2005, lorsque le gouvernement a entamé de nouveaux efforts pour mettre un terme à l’utilisation d’enfants dans les forces armées, elle a, témoigne-t-elle, été amenée à Goma.
« On a suivi des séminaires et des formations en coupe et couture, mais cela ne me sert à rien aujourd’hui, car je ne me sens plus à l’aise ici », déclare-t-elle, ajoutant que la stigmatisation qu’elle subit est pareille à l’oppression. « Des hommes ne cessent jamais de parler dans mon dos, et personne ne veut s’approcher de moi. Je ne sais même pas si un jour on me demandera en mariage ».
Malgré les efforts des ONG et des groupes gouvernementaux visant à offrir des services aux jeunes femmes retournées dans leurs familles, la stigmatisation qui les entoure dans les communautés locales demeure, aux dires des habitants, la principale raison qui rend impossible leur réintégration.
« Jamais je ne peux faire ma demande en mariage à une fille ayant servi dans des forces ou groupes armés », déclare Fiston Kambale, 23 ans. « À supposer, par exemple, qu’une fille que j’ai choisi d’épouser a déjà acquis l’habitude de tuer, et qu’il m’arrive de l’offenser d’une manière ou d’une autre. Elle risque fort de me tuer ».
Même des habitants ayant servi dans l’armée et qui savent que ces filles ont été enlevées contre leur gré pointent souvent du doigt la fille.
Pour Dorcas Mwambuyi, 55 ans, femme militaire et mère de 11 enfants et ancienne commandante d’une compagnie militaire féminine, il est normal que les filles fassent l’objet de rejet après avoir quitté des groupes armés. « Aujourd’hui, ces filles sont recrutées dans des forces et groupes armés étant toutes petites », explique-t-elle. « Dans ces groupes armés, elles ne sont pas traitées comme de vrais soldats. Très souvent, elles sont utilisées comme des objets sexuels de leurs commandants. Elles sont sans moralité ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.