KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Un réseau dense de rivières et de lacs entoure les terres de la RDC. Dans la ville de Kisangani, les chutes d’eau de Wagenia et la rivière Tshopo gargouillent pendant la nuit, rappelant sans cesse la riche ressource en eau du pays.
Cependant, cette situation contraste fortement avec la réalité de la maison de Mushiya Bernadette et de nombreux autres ménages de Kisangani, dont les membres affirment être désormais habitués à se réveiller avec des robinets à sec. S’ils ont de la chance, les quelques gouttelettes d’eau qui s’écoulent sont brunâtres et sales. Les experts lancent une mise en garde contre les risques sanitaires si rien n’est fait pour résoudre ce problème.
Plus de 50 % des réserves d’eau de surface de l’Afrique se trouvent en RDC. Le fleuve Congo s’étend sur plus de 4 700 kilomètres, soit 2 920 miles, et longe la plus grande forêt tropicale d’Afrique. De tous les fleuves du monde, il est le deuxième après l’Amazone en termes de volume et comprend le plus grand volume de décharge en Afrique. Avec ses 1,3 trillion de mètres cubes (45,9 trillions de pieds cubes), son débit annuel est environ 10 fois supérieur à celui du Nil et quatre fois supérieur à celui du Zambèze.
Toutefois, ces chiffres ne se concrétisent pas par un accès à l’eau pour les habitants du pays. En 2020, seuls environ 19 % de la population de la RDC avaient accès à l’eau potable chez eux, contre 14 % en 2010, pour reprendre les termes d’un rapport de la Banque mondiale.
Selon une enquête menée en 2018 par le bureau national des statistiques et l’UNICEF, près de 53 % des ménages de la province de la Tshopo dépendent d’une eau non traitée issue de sources ou d’autres eaux de surface, contre 41 % au niveau national.
Ladite eau non traitée présente un grand nombre de risques pour la santé. Un rapport de l’Agence des États-Unis pour le développement international indique qu’en raison de l’exploitation minière dans le pays, les eaux de surface de certaines régions de la RDC sont contaminées par des métaux traces et des toxines. La contamination par les matières fécales, en particulier dans les zones urbaines, est courante et augmente pendant la saison des pluies.
Selon Mushiya, même l’eau courante distribuée par la Regideso (Régie de distribution d’eau), la compagnie publique de distribution d’eau de la RDC, est à peine potable. « On ne peut même pas se hasarder de la boire », précise-t-elle.
Lolo Ofoili, médecin et responsable de la zone de santé de Tshopo, affirme que l’eau courante a déjà exposé la population de Kisangani à la fièvre typhoïde.
La Regideso soutient qu’elle distribue de l’eau potable qui ne présente aucun danger pour la consommation. Cependant, le directeur provincial par intérim, Toussaint Mwapata, admet que la compagnie de distribution est confrontée à des difficultés qui ne lui permettent pas de répondre à la demande de la population. Une grande partie du système de canalisation est obsolète, car il a été installé pendant la période coloniale belge.
« Le problème majeur est les infrastructures, les tuyaux de canalisation d’eau qui sont en métal, déjà très ruinés et qui datent depuis 1939 », explique Mwapata.
Selon la Banque mondiale, l’insécurité, le manque d’entretien et les décennies de conflit sont quelques-uns des facteurs qui ont affecté la capacité de la compagnie à assurer un approvisionnement efficace en eau.
Le fournisseur d’eau manque de fonds pour mettre à jour les infrastructures obsolètes, explique Mwapata. Sur les 280 millions de dollars investis dans le secteur urbain de la Regideso entre 2010 et 2015, seul 1 % provenait du gouvernement du pays, précise le rapport de la Banque mondiale. L’Agence américaine pour le développement international indique également que le financement du gouvernement pour le secteur de l’eau en RDC a connu une baisse entre 1990 et 2015. En 2015, environ 90 % des investissements de ce secteur provenaient des bailleurs de fonds.
Le ministère national de l’Énergie et des Ressources hydrauliques n’a pas répondu à nos nombreuses demandes de renseignements.
Alors que les investissements du gouvernement dans le secteur de l’eau restent faibles, la demande en eau potable est en constante augmentation. Les statistiques de la Regideso révèlent que le nombre d’abonnés à travers le pays a augmenté de près de 20 % entre 2015 et 2019.
Désiré Mondele, qui vit dans la commune de Mangobo, estime que le fournisseur devrait utiliser l’argent des factures du mois pour réhabiliter les infrastructures.
Il affirme que même si la compagnie ne l’approvisionne pas en eau, il doit quand même payer sa facture mensuelle d’environ 20 000 francs congolais, soit environ 10 dollars. S’il ne le fait pas, explique-t-il, la compagnie de distribution d’eau déconnectera son compteur.
Or, le fournisseur d’eau a besoin de cet argent pour continuer ses activités, renseigne Mwapata. De plus, le fait que le gouvernement ne paie pas ses factures ne facilite pas les choses. Les données de la Banque mondiale laissent apparaître que les arriérés du gouvernement auprès des services publics ont atteint 176 millions de dollars en 2020.
Malgré son incapacité à offrir un financement suffisant, le gouvernement a consenti d’autres efforts pour atténuer la situation. En septembre 2021, il a approuvé une stratégie visant à restructurer la Regideso et à améliorer ses services. La nouvelle stratégie a permis au fournisseur de signer des contrats avec des entreprises privées d’approvisionnement en eau.
Mais pour Mwapata, cette stratégie n’a pas amélioré la situation. Il exhorte les habitants à être patients et à attendre que le gouvernement agisse.
Une solution temporaire, selon Ofoili, serait de faire bouillir l’eau avant de la boire ou d’utiliser des filtres qui constituent un luxe à la portée de peu de gens.
« Je n’ai pas les moyens financiers pour acheter le purifiant à chaque fois », déclare Julie Mubinda, une femme au foyer à Kisangani. Pour l’instant, ajoute-t-elle, elle n’a pas d’autre choix que de continuer à boire de l’eau contaminée du robinet chaque fois que la Regideso la rend accessible. Elle affirme, par ailleurs, « Je ne me tourmente pas à faire quoi que ce soit, moi. Je consomme cette eau telle que ça coule ».
Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Christelle Yota, GPJ.