GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Soudain un coup de sifflet retentit, le passage est cédé et une marée d’enfants en uniforme bleu et blanc se précipitent vers l’école. Le saviez-vous ? Ces enfants sont ceux ayant eu la chance de naître des parents capables de payer la prime exigée par les écoles publiques pour compléter le maigre salaire des enseignants.
Le fardeau financier de la prime est devenu bien plus pesant — avec le montant de la prime qui, dans certains cas, a doublé passant à 40 $ par semestre – et même certaines familles aujourd’hui en mesure de s’acquitter de ce fardeau craignent que l’exclusion soit le malheur qui guette leurs enfants surtout dans ce pays où 59 pour cent de la population vit avec moins de 1,25 $ par jour.
Trois des 11 enfants de Georgette Kavira ont été renvoyés de l’école faute de paiement de la prime et risquent de se voir privés de leur droit à l’éducation pour de bon si sa famille n’a pas la chance de trouver de l’argent pour payer la prime.
«À l’heure actuelle où la situation économique devient de plus en plus désastreuse, je suis obligée de retirer certains de mes enfants de l’école à cause du manque d’argent à payer », explique Kavira, habitante du quartier de Katoyi, commune de Kalisimbi à Goma. Trois de ses enfants sont à l’école primaire et deux autres à l’université et elle pratique la vente de cartes prépayées pour cellulaires en vue de pouvoir couvrir certaines de ses autres dépenses. Avec l’insuffisance de fonds, dit-elle, elle voit mal comment elle peut se convaincre de payer la prime pour ses trois enfants qui sont au secondaire. Ce sont ces mêmes enfants qu’elle a aujourd’hui retirés de l’école.
Le salaire des enseignants constitue un défi majeur pour les communautés congolaises dans un pays où l’enseignement public est un système hybride, comprenant des établissements gérés par l’État avec l’aide des organisations religieuses.
Contrairement à l’article 43 de la Constitution de la RDC qui stipule que l’enseignement primaire est obligatoire et gratuit dans les établissements publics, la hausse de la prime est un obstacle qui empêche de nombreux enfants d’accéder à l’enseignement primaire. En conséquence, avec ses 3,5 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire qui ne le sont pas, la RDC figure parmi les pays comptant le plus grand nombre d’enfants non scolarisés, comme l’affirme Global Partnership for Education. Ce groupe qui s’engage dans la mobilisation de l’aide pour encourager les gouvernements à allouer jusqu’à 20% de leurs budgets à l’éducation affirme que la RDC fait des progrès dans ce sens et qu’elle a presque doublé la part du budget alloué à l’éducation, passant ainsi de 9% en 2010 à 17,8% 2014.
Pourtant, trois enfants sur 10 en RDC ne parviennent toujours pas à terminer leurs études primaires, lit-on dans un rapport de l’UNICEF de 2016 citant les chiffres officiels tirés du 2ème Rapport d’État du Système Éducatif de la RDC. De plus, selon le même rapport, 30% des jeunes qui abandonnent l’école le font à un très jeune âge, entre la 1ère et la 2ème année. Seules six filles sur 10 terminent leurs études primaires, contre huit sur 10 chez les garçons.
À en croire l’UNICEF, 70% des enfants non scolarisés ne vont jamais à l’école ou abandonnent leurs études parce que leurs parents n’ont pas un sou en poche pour payer la prime des enseignants, et ces derniers font l’apologie de la prime en pointant du doigt le maigre salaire qu’ils reçoivent du gouvernement. Un enseignant dans un établissement public qui est détenteur d’un diplôme d’études secondaires reçoit 103 000 francs congolais par mois alors que celui ayant un diplôme de graduat reçoit 106 000 francs congolais au moment où celui qui est titulaire d’un diplôme de licence empoche 113 000 francs congolais, affirme Ponchelin Byamumonyi, secrétaire diocésain du Syndicat des enseignants des écoles catholiques du Diocèse de Goma. La prime varie entre 200 000 francs congolais et 400 000 francs congolais par mois.
Le salaire offert par le gouvernement est tellement maigre que certains enseignants l’ont baptisé « SIDA », acronyme qui fait allusion au VIH/SIDA et qui signifie littéralement « Salaire Insuffisant Difficilement Acquis ». Ainsi, les écoles exigent aux parents de payer une certaine somme en guise de prime pour motiver les enseignants, qui, à cause de leur maigre salaire, seraient tentés de chercher inévitablement de meilleures conditions ailleurs.
Les parents aussi bien que les enseignants sont inquiets à l’idée de voir l’enseignement se détériorer davantage en raison de l’incapacité du gouvernement à offrir aux enseignants des salaires suffisants à l’heure où le pays continue à se remettre des guerres successives.
Pierrot Bahanuzi, enseignant du français à l’Institut de Goma, dit que le salaire du gouvernement ne peut permettre aux enseignants de survivre.
«Il est inconcevable qu’un député national puisse gagner 13 millions de francs, tous les autres avantages non compris, alors que son compatriote qui est enseignant gagne 103 000 FC sans aucun autre avantage». « C’est inacceptable. Un député peut payer plus de 120 enseignants avec son salaire mensuel » !
Bahanuzi dit que le versement de la prime non seulement empêche les enfants d’aller à l’école, mais aussi met à mal le système d’enseignement.
«Comme les parents sont des bailleurs de fonds, ils ne veulent plus que leurs enfants soient proposés au redoublement de peur de se voir obligés de continuer à payer les frais de scolarité. En plus, les élèves sont devenus indisciplinés parce que nous avons peur de les renvoyer pour ne pas réduire notre enveloppe mensuelle. Pour moi, je crois que cette prime payée par les parents constitue un crime contre le système éducatif de notre pays », s’insurge-t-il.
En raison de la pression économique, dit-il, certaines autorités scolaires passent leur temps à compter l’argent payés par les parents au lieu de focaliser leur attention sur l’enseignement. «Les autorités scolaires font plus fonction de comptables que d’enseignants. Comment voulez-vous qu’ils assurent en enseignement de qualité aux élèves» ? se demande-t-il.
Sudi Salomon, membre du Syndicat des enseignants du Congo, section du Nord-Kivu, dit qu’il est affligeant de voir un enfant être privé de ses droits.
«À la fin de chaque mois, le recouvrement des frais de scolarité se pointe de manière rude. Les élèves ayant des arriérés de frais de scolarité se voient interdire l’accès aux cours, même pendant les interrogations ou les examens », dit-il.
«Pour recouvrer les frais de scolarité non payés, les autorités scolaires font sortir les enfants de la classe pendant que les autres sont en train d’étudier», se lamente Salomon.
Il ajoute que les classes deviennent de plus en plus surpeuplées en raison des problèmes de financement à tel point que le nombre maximum d’élèves par classe est devenu le cadet des soucis des écoles. Certains élèves sont obligés d’être dans des classes surpeuplées et une classe peut abriter 70 élèves ou plus.
«Il est très difficile pour un enseignant de gérer une telle classe», dit Salomon.
Maria Ushindi, une mère de trois enfants dont le benjamin est âgé de 7 ans, dit qu’elle ne peut plus se permettre d’envoyer ses enfants à l’école.
«Vous savez, même trouver de quoi nourrir mes enfants n’est pas chose facile. Alors comment pourrais-je trouver de quoi payer à l’école. Ma priorité est de leur chercher du fufu et des légumes pour qu’ils ne crèvent pas de faim », dit-elle. « Bien sûr que j’aimerais qu’ils prennent le chemin de l’école comme les autres enfants mais je n’ai pas assez d’argent. En tout cas, Dieu seul sait leur avenir. »
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.