GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO —Les enfants jouent sur de vieilles épaves d’avions qui jonchent la route. Pour certains, ces pièces métalliques servent de supports pour le séchage de leurs tapis au soleil.
À l’extérieur d’une maison en blocs de béton qui semble inachevée, il brûle un feu à proximité duquel sont entassées de vielles voitures et leurs pièces. L’intérieur de la maison et surtout son plancher, quant à lui, est jonché de pierres et de briques avec des pièces en tôle éparpillées ici et là.
Ici c’est la maison «Sans Rancune», atelier engagé à approvisionner les habitants les plus pauvres de Goma en casseroles, ustensiles et même en objets de décoration de maisons qui sont tous fabriqués à partir des épaves métalliques.
Tout près du feu se trouve Désiré Hamisi, 39 ans, marié et père de deux enfants et fondateur de «Sans Rancune.» Il a ouvert son atelier en 2010.
Au début, confie Hamisi, les gens de mon quartier étaient sceptiques quant à la qualité de mes produits.
« Au début, le travail me paraissait difficile, vu le manque de confiance des habitants de mon quartier, » lâche HAMISI.
Mais peu après, dit-il, ils ont constaté que l’atelier pouvait leur épargner de parcourir les 4 km pour aller au marché du centre-ville où se vendent généralement les ustensiles de cuisine tout en leur permettant également d’épargner quelques sous.
« Ce n’est qu’après neuf mois de travail que les gens ont progressivement commencé à acheter mes marmites,» dit Hamisi.
Hamisi dit qu’il a, il y a quelques années lors d’un voyage à Kigali au Rwanda voisin, été inspiré par son ami d’enfance qui fabriquait des ustensiles de cuisine à partir des épaves métalliques pour ses voisins. Hamisi n’a terminé que la troisième année mais sa passion pour l’art et d’aider les gens a motivé son retour à Goma pour démarrer son propre atelier.
«Je n’ai pas appris à fabriquer tout cela à l’école, » dit-il, « c’est juste par amour que j’ai pour l’art.»
Les ustensiles de cuisine, tout comme un bon nombre de biens de première nécessité, sont importés à Goma. Il n’existe aucune usine locale.
Pour compenser l’absence de produits ménagers de base à des prix abordables ici, Hamisi collabore avec les employés locaux des compagnies aériennes à l’aéroport de proximité. Ces employés lui vendent des pièces d’avion usées à des prix abordables. Il se rend également dans des garages automobiles locaux à la recherche des pièces automobiles utilisables pour la fabrication des ustensiles de cuisine.
La RDC figure parmi les régions du monde les plus riches en ressources naturelles mais les populations locales sont obligées de traverser les frontières à la recherche des casseroles et des ustensiles en métal. Certains vont en Ouganda pour s’en approvisionner sur les marchés de Kampala où les prix sont bas. D’autres traversent la frontière vers le Rwanda pour l’achat des articles de cuisine à Gisenyi, mais les prix sont plus élevés là-bas. Ceux qui ne pouvaient voyager n’avaient d’autre choix que de s’approvisionner sur le marché principal de Goma où les prix sont les plus élevés.
La Communauté d’Afrique de l’Est se veut un bloc regroupant le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et le Soudan du Sud qui est sur le point de devenir le plus récent membre à part entière. La coopération entre ces pays contribue à la réduction des prix d’une gamme de biens échangés entre les États membres. Mais la RDC, n’étant pas membre du bloc, ne bénéficie pas de ces privilèges. Les Congolais sont tenus de payer les frais de visa pour entrer dans de nombreux autres pays et ne bénéficient non plus de la réduction des prix des produits de base.
«Nous achetons des ustensiles de cuisine comme des casseroles, des cuillères, des assiettes et des cuvettes en plastique à bas prix à Kampala ou au Rwanda pour les revendre à des prix plus élevés à Goma parce que les coûts de transport et de visa sont élevés,» dit Marius Ganza , commerçant et vendeur de casseroles au marché Alanine de Goma .
Une douzaine de cuillères se vend entre 5 $ et 10 $ sur le marché local, et ce, selon sa qualité. Un set de casseroles de haute qualité peut coûter jusqu’à 50 $.
Hamisi et ses cinq employés fabriquent cinq à 10 marmites par jour. Chaque employé gagne 3 pour cent du prix de la marmite qui varie entre 2 $ et 30 $.
« Nous avons opté pour ces prix car non seulement ils nous permettent d’attirer beaucoup de clientèle, mais aussi ils sont adaptés à la situation économique de la population de mon quartier,» dit Hamisi.
Hamisi affirme avoir 10 à 15 clients chaque jour.
«Dans ma caisse je me retrouve parfois avec 40.000 francs congolais, » dit-il. « Et dans ce cas, je peux dire que ma journée a été bénie ! »
À en croire aux données actuelles de la Banque mondiale, le revenu annuel moyen en RDC n’est que de 380$.
Les habitants affirment que l’atelier « Sans Rancune » est un soulagement pour ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter des ustensiles importés.
Les femmes ménagères de Kahembe, quartier voisin, achètent le plus souvent les marmites de Hamisi.
«Ces marmites sont efficaces pour nous les femmes qui cuisinent à l’aide des bois de chauffages, » dit Fatuma Muhamedi, femme ménagère de Kahembe. «Nous nous en servons pour préparer bien le riz, le haricot et même les légumes comme le Sombe. »
Le Sombe est un ragoût à base de feuilles de manioc.
«Nous les préférons aux casseroles modernes», dit Muhamedi.
D’autres disent que ces marmites remontent aux temps anciens quand les articles ménagers étaient de meilleure qualité.
«Ces marmites traditionnelles nous rappellent l’époque de nos grands-parents à laquelle il n’existait que des marmites en terre. Elles étaient utilisées par des femmes lorsqu’il y avait des visiteurs très importants dans la famille comme lors de la dot ou du mariage», se souvient Julia Lumbashi, 55 ans.
Hamisi créé également des emplois, dit John Muhigirwa, un des responsables du quartier qui est chef de l’avenue de Lubero à Kahembe.
« Ce petit atelier du quartier contribue beaucoup à l’amélioration des conditions de vie de la population et dans la lutte contre le chômage parmi les habitants de son avenue, » dit Muhigirwa.
Senghor Mbale, 30 ans, travaille à « Sans Rancune ». Il dit qu’il s’occupe de chauffer les matériaux et de leur donner toutes formes souhaitées.
«Avec ce que je gagne ici, je contribue à subvenir aux besoins de ma famille en payant les frais médicaux pour ma mère qui souffre de diabète», dit-il.
Les employés de Hamisi affirment qu’ils auraient beaucoup de mal à trouver un emploi ailleurs.
Mbale a un seul œil. Il a perdu l’autre œil en 2013 à la suite d’un accident quand il fabriquait une marmite en aluminium dans l’atelier de Hamisi.
«Mon travail est tout ce que j’ai, » explique-t-il. « Si je l’abandonne à cause de mon accident, qui pourra alors payer les frais médicaux pour ma mère? »
En dépit de son impact positif, certaines populations locales disent que l’atelier constitue un danger environnemental. Il émet une odeur nauséabonde qui expose les habitants des alentours au danger, dit Lebeau Maliyamungu, habitant du quartier.
« À part l’odeur, la fumée de ces matériaux qui brûlent nous dérange beaucoup», dit-il. « Je pense que cet atelier devrait être délocalisé vers un endroit éloigné de la ville. »
Le Dr. Emmanuel Mujinga Mutombo, expert en santé publique, soutient que la fumée causée par l’aluminium ou d’autres matériaux de combustion peut avoir un impact négatif sur la santé des populations locales.
«Cette fumée contribue à la détérioration de l’atmosphère et peut causer certaines maladies comme la toux, les maladies cardiaques et d’autres maladies surtout chez les enfants et les femmes enceintes», s’insurge Mutombo. « En cas d’explosion, ces aluminium et autres matériaux peuvent provoquer des maladies pulmonaires ou même le cancer du poumon chez les adultes.»
Pourtant, Hamisi pense qu’il contribue à ouvrir la voie à un avenir meilleur pour ses voisins.
« Quand je suis dans mon atelier, je me sens bien en voyant le travail fourni par mes employés. Ça me donne encore de l’espoir,» estime-t–il.
S’agissant des plaintes concernant l’environnement, Hamisi dit que lui et son équipe envisagent de créer un processus plus efficace qui permettrait de réduire la combustion.
« Nous améliorons notre travail au fur et à mesure. Mon idée était de fabriquer uniquement des marmites traditionnelles. Mais aujourd’hui nous fabriquons même des objets de décoration des maisons, des cuillères et des formes de fleurs, et cela à l’aide des mêmes épaves d’avions et de véhicules, » soutient Hamisi.
Approvisionner les populations de Goma n’est que le début, glisse-t-il.
« J’espère que mon entreprise grandira pour être en mesure de fournir des marmites à bas prix dans tout le pays, » conclut Hamisi.
Traduit de l’anglais par Ndayaho Sylvestre, GPJ.