GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Sifa Nsabimana vient à peine de traverser la frontière de la République démocratique du Congo en provenance du Rwanda et un agent de la police aux frontières lui demande de payer la taxe sur la valeur ajoutée équivalente à 500 francs congolais (54 cents).
Nsabimana, un Rwandais qui gagne sa vie en vendant des tomates chaque jour en RDC, montre à l’agent son jeton prouvant qu’elle a déjà payé la taxe imposée à tous les petits commerçants transfrontaliers. L’agent prend le jeton et il s’ensuit une querelle.
Nsabimana, qui vit à Gisenyi, finit par payer la taxe à nouveau – encore 500 francs congolais – pour s’assurer qu’elle se voit autoriser à faire son commerce à Goma ce jour-là.
Les villes de Gisenyi et de Goma épousent chacune l’un ou l’autre côté de la frontière internationale qui sépare le Rwanda et la RDC. Les citoyens des deux pays font chaque jour le commerce de biens entre eux. Les commerçants de Goma amènent des bâches, des tissus et autres articles à Gisenyi. Les femmes rwandaises amènent souvent des produits alimentaires, y compris le lait, les choux, les carottes et les haricots en RDC.
Selon le rapport d’International Alert publié en 2010, le commerce transfrontalier est à la base d’une économie de survie de quelque 22.000 commerçants, qui sont majoritairement des femmes et leurs personnes à charge de part et d’autres de la frontière. Selon le même rapport, 90 pour cent des commerçants sont obligés de payer des taxes informelles à la traversée de la frontière à Goma et le recouvrement de la plupart de ces taxes se fait par le harcèlement physique. En effet, 70 pour cent des commerçants transfrontaliers des deux pays –peut-on lire dans le rapport- déclarent être victimes de harcèlement de la part de la police ou de l’armée.
Toujours d’après le rapport d’International Alert, le Rwanda n’impose aucun droit d’exportation sur les denrées alimentaires, mais applique des droits élevés – 25 pour cent – sur l’importation des produits agricoles.
Cet avantage fiscal auquel s’ajoute la concurrence entre les commerçants formels et ambulants crée des tensions entre ces femmes des deux pays. Il peut y avoir de profondes suspicions entre les deux groupes.
« Moi, personnellement, je ne peux pas acheter les produits alimentaires en provenance du Rwanda, » dit Ushindi Mastaki, vendeur de chaussures congolais. «La plupart de ces produits comme la viande sont avariés et ces femmes du Rwanda vendent souvent du lait à bas prix parce qu’elles savent très bien que ce lait est impropre à la consommation, nous exposant ainsi à la diarrhée. »
Nsabimana dit qu’elle a été chassé du Marché Central de Virunga par des commerçants congolais.
Toute personne qui verse un loyer annuel d’un stand a le droit de vendre au Marché central de Virunga, affirme le président de marché Faustin Kambale, mais aucune commerçante rwandaise n’a jamais sollicité une place sur le marché quand il y en avait encore.
Toute personne qui harcèle un commerçant risque d’être punie, dit Muya Nzengu, fonctionnaire de la police aux frontières à Goma.
Il y a des problèmes liés au commerce transfrontalier, mais Papy Michel, chef du bureau de Goma pour le guichet d’information sur le commerce du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) affirme que la pratique présente d’énormes avantages.
« Malgré l’existence des guerres et des conflits entre le Rwanda et la RDC sur le plan politique, ces structures de petits commerçants contribuent à la consolidation de la paix sur le plan social dans les deux villes dans le cadre des efforts de consolidation de la paix,» dit-il.
Nsabimana, 39 ans, a emprunté 3.300 francs rwandais (4,43 $) en 2009 pour démarrer son activité de commerce transfrontalier après la perte par son mari de son emploi d’enseignant dans une école primaire.
Nsabimana se rend souvent à Goma en compagnie de deux autres femmes de son quartier. Elles y amènent des plantains, des pommes de terre, des oignons et d’autres articles pour les échanger contre des vêtements usés qu’elles revendent ensuite à Gisenyi.
«Je passe toutes mes journées à sillonner les quartiers de Goma à partir de 6 heures avec mon bébé de 9 mois sur le dos et une bassine de tomates sur ma tête et je rentre à la maison vers 17h30 avant la fermeture de la frontière à 18 heures»
Ce travail procure des revenus importants pour Nsabimana, son mari et ses quatre enfants. Grâce à ces revenus, elle parvient à payer les frais scolaires de sa fille et elle a pu épargner un peu d’argent sur un compte bancaire, dit-elle.
Nsabimana espère que la situation fiscale à la frontière pourra s’améliorer. Aujourd’hui, dit-elle, plusieurs personnes nous exigent de leur payer en espèces, et il ne lui est pas toujours facile de savoir à qui elle est tenue de payer.
Les prix des denrées alimentaires taxables devraient être fixés pour éviter la perception de taxes illégales, dit Nsabimana.
Mais même en l’absence de fixation de ces prix, elle doit encore traverser la frontière.
«Je n’ai pas d’autres moyens de survivre,» dit Nsabimana.
Ce récit a été traduit de l’anglais par Ndayaho Sylvestre.
Certaines interviews ont été traduites du kinyarwanda par Esther Nsapu.