KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Natacha Itondo Amunga, 33 ans, regarde la télé dans son salon, entourée de ses trois enfants âgés de 6, 4 et 2 ans.
Mariée depuis huit ans, Amunga affirme que n’avoir que trois enfants aujourd’hui tient du miracle.
Ayant grandi dans une famille nombreuse de 11 enfants, elle garde un souvenir amer de ces moments pénibles où elle devait se coucher la faim au ventre parce que ses parents avaient trop de bouches à nourrir. Ainsi, quand naquit sa fille ainée, elle et son mari ont approché son gynécologue pour lui déclarer leur intention d’utiliser la contraception pour espacer les naissances.
La planification familiale, révèle-t-elle, est chose rare à Kisangani.
« Ça m’a trop affecté, et c’est grâce à cela que mon mari et moi pouvons prendre soin de notre famille comme il faut », confie Amunga en parlant des contraceptifs injectables qu’elle a reçus.
Il y a huit ans environ, affirment certains médecins locaux, l’accès à la contraception commençait à augmenter à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo et l’une des plus grandes villes de la RDC.
Depuis quelques années, pourtant, l’accès à la contraception se fait plus rare ici. Des cliniques qui, autrefois, étaient connues pour avoir des stocks fiables évoquent plusieurs raisons derrière cette pénurie qui perdure. L’accès est encore plus compliqué pour les femmes célibataires car, selon la coutume locale, seules les femmes mariées sont prioritaires pour l’accès à la contraception pourvu que leurs maris ne s’y opposent pas. Certaines cliniques locales distribuent des préservatifs. De l’avis des femmes, pourtant, elles sont souvent incapables de persuader leurs maris ou partenaires à utiliser un préservatif. Et aujourd’hui, nombreuses sont les femmes qui se plaignent des effets fâcheux sur leur santé après l’achat de contraceptifs, tantôt faux, tantôt périmés, dans des pharmacies locales.
Grâce à un partenariat entre le ministère de la Santé et l’Association de santé familiale (ASF), on a commencé à distribuer des contraceptifs en 2012 pour promouvoir la planification familiale. Mais ce financement s’étant tari, ce partenariat a pris fin en 2015.
Selon Alain Fembo, 48 ans, chargé de programmes auprès de l’ASF, le groupe distribuait chaque année 2 000 cartons de contraceptifs dans chaque zone de santé, un groupe d’hôpitaux ou de cliniques desservant une zone géographique, et ce, entre 2012 et 2015.
Aujourd’hui, Fembo affirme qu’ils raclent des fonds de tiroir avec des moyens très modestes car on a vu leur enveloppe budgétaire précédente sensiblement chuter alors qu’aucune autre source de contraceptifs n’est en vue. L’ASF fournit aujourd’hui 200 cartons de contraceptifs au total en faveur des zones de santé environnantes. Des femmes célibataires et des femmes dont les maris ne veulent pas entendre parler de la contraception en ont payé le prix.
Des infirmières et des médecins dans des hôpitaux et cliniques locaux s’arrogent le droit de déterminer qui a droit à leurs stocks limités. Et pourtant, il n’existe ni une loi qui oblige les femmes à se munir d’autorisations de leurs conjoints, ni un règlement qui accorde officiellement la priorité aux femmes mariées.
Selon Julienne Asani Melamala, 35 ans, mère de cinq enfants, elle n’a pas pu se faire prescrire une contraception dans une clinique et son mari était contre tout recours à la contraception.
« Mon mari n’a jamais été d’accord avec la contraception. Mais vu la situation difficile que nous traversons aujourd’hui, je ne peux pas continuer à mettre au monde », confie Melamala. « C’est pourquoi j’ai acheté des contraceptifs dans une pharmacie de quartier pour stopper les naissances ».
Elle a acheté des pilules contraceptives périmées sans ordonnance dans une pharmacie de quartier et a éprouvé des effets néfastes sur sa santé, raconte-t-elle.
« J’ai acheté des contraceptifs dans une pharmacie de quartier et j’ai eu des problèmes », témoigne-t-elle. « J’ai eu mal au ventre depuis l’utilisation de ces contraceptifs, et je ne sais pas pourquoi ».
Au nombre des effets secondaires fréquents des contraceptifs périmés – surtout les contraceptifs offerts en comprimés oraux – figurent la nausée et l’infection bactérienne. Et, bien évidemment, ils sont inefficaces.
N’étant pas mariée, Dorcas Amuri, femme entrepreneure âgée de 28 ans, s’est vu refuser l’accès à la contraception dans un hôpital.
« Je ne suis pas mariée légalement, mais j’ai un ami », souligne-t-elle. « Je ne veux pas mettre au monde. Si je m’occupe des enfants, mon business peut en pâtir ».
Après avoir acheté des pilules étiquetées comme contraceptifs dans plusieurs pharmacies de quartier, elle a commencé à éprouver plusieurs problèmes, allant des crampes aux diarrhées.
Des propriétaires de pharmacies n’ont pas voulu se prononcer sur le sujet. Mais selon Kombozi, employé d’une pharmacie de quartier qui a préféré être identifié sous son seul premier nom, ils proposent des contraceptifs oraux bon marché de marque indienne. De son côté, il ne connaît personne qui se plaigne d’effets secondaires.
Mais comme les hôpitaux locaux distribuent leurs quantités limitées de contraceptifs au compte-gouttes, surtout en faveur des femmes mariées, des femmes célibataires affirment s’en remettre à des pharmacies.
Léonie Lisalama, 31 ans, serveuse dans une boîte de nuit, explique qu’elle ne peut se faire délivrer un contraceptif dans un hôpital ou une clinique de la ville simplement parce qu’elle n’est pas mariée.
« Si je pars à l’hôpital, on ne me donnera rien, simplement parce que je ne suis pas mariée », déplore-t-elle. « Et chaque fois que j’ai besoin de contraceptifs, j’utilise ceux qui sont vendus dans des pharmacies, parce que ce sont des endroits les plus faciles pour acheter des contraceptifs quand je veux ».
L’ASF n’a pas obtenu d’autres dons privés et espère que le gouvernement national pourra voler à son secours.
« Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de continuer à fonctionner comme d’habitude », explique Fembo. « Nous avons besoin d’une aide d’urgence de la part du gouvernement ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.