KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Josephine Fatuma, 34 ans, affiche un visage triste au regard perdu. Son kitenge est décolorée et elle n’a pas encore réussi à retrouver son fils.
Assise devant sa petite table où elle vend des tomates, des bananes et des ananas, ses pensées semblent se promener dans un autre monde. Et quand un client arrive, elle se met à sursauter comme sortie d’un cauchemar.
Fatuma vit à Pinga, un village de la province du Nord-Kivu en RDC. Cela fait quatre ans depuis que les rebelles Maï Maï Cheka ont pillé et pris le contrôle du village.
« Nous étions dans le champ lorsque nous avons entendu des gens crier. Les cris semblaient venir de partout. Immédiatement, nous avons su que nous étions attaqués par des rebelles, » raconte Fatuma. « Chacun de nous a couru aussi vite qu’il le pouvait avec pour but de s’éloigner du village. »
Après s’être cachés dans la brousse pendant deux jours, ceux qui avaient pu s’échapper des machettes des rebelles sont retournés dans le village.
« Je ne souhaite à aucun être humain de voir ce que nous avons vu quand nous sommes retournés dans le village, » déplore-t-elle. «Nos huttes avaient été brûlées. Les enfants tués à la machette avaient été laissés gisant sur le sol. Les personnes âgées avaient été brûlées vivantes dans leurs huttes parce qu’elles ne pouvaient pas marcher. C’était horrible. »
Fatuma dit qu’elle a immédiatement commencé à se mettre à la recherche de son fils de 15 ans.
«Le jour du massacre, mon fils était à l’école. À mon retour, je l’ai cherché partout mais en vain, » dit Fatuma. « Ses camarades m’ont dit qu’il avait pris la fuite avec les autres.»
Comme les gens continuaient à retourner peu à peu dans le village, Fatuma ne se lassait pas d’attendre son fils.
«Deux semaines se sont écoulées en attendant le retour de mon fils, mais il n’a jamais réapparu, » dit-elle.
La vie au village était difficile et c’était chacun pour soi. On ne devait qu’enterrer et pleurer ses morts. Des rumeurs circulaient toujours faisant état du retour des Mai Mai. Les gens ont commencé à fuir un à un, dit Fatuma.
«J’ai décidé de fuir à mon tour car un mois venait de passer sans trouver mon fils. C’est ainsi que j’ai pris un bus pour venir ici à Kirumba, » dit-elle.
Aucun jour ne passe sans qu’elle espère voir son fils dans la rue.
Pas une émission radiophonique ne peut passer sans qu’elle y prête attention pour entendre les communiqués radiophoniques souvent diffusés sur les enfants à la recherche de leurs parents.
«J’écoute souvent la radio, accrochée à l’espoir de revoir un jour mon fils, » confie-t-elle.
Le mari de Fatuma avait été tué dans une attaque quelques années auparavant.
Mais pour son fils, les rumeurs aident à maintenir l’espoir bien vivant en elle.
«J’apprends que les gens qui ont pris la fuite avec mon fils se sont dirigés vers Lubero, » soutient-elle.
Mais Fatuma dit qu’elle n’a jamais eu un téléphone.
«Au moins si j’avais un téléphone, mon fils saurait mon numéro et m’appellerait,» estime-t-elle.
La radio est son seul espoir de le retrouver.
Fatuma n’est pas seule. Des milliers de parents et d’enfants se sont dispersés après le sauve-qui-peut général.
On assiste à un nombre grandissant de conflits armés dans le territoire de Lubero et dans la province du Nord-Kivu. Toutefois, le conflit n’est certes rien de bien nouveau. Depuis 1996, les gens ici ont subi des violences continuelles qui se traduisent souvent par la mort ou la séparation des enfants.
Les experts disent que les enfants sont les principales victimes des conflits. Des milliers d’entre eux ont été recrutés au sein des groupes armés et beaucoup d’autres ont été sexuellement violentés, enlevés ou séparés de leurs familles.
Le nombre total d’enfants séparés de leur famille reste inconnu, mais un appel lancé en 2015 par l’UNICEF a précisé que ce dernier a pu identifier 1000 enfants dans la région et les réunir avec leurs familles.
Selon l’UNICEF, 1000 enfants séparés de leur famille en 2015 ont été identifiés et réunis avec leurs familles.
Ce n’est là qu’un effort réalisé pour trouver la solution au nombre croissant d’enfants qui sont séparés de leurs familles ou faire des recherches sur leur sort.
Lors d’un programme pilote mis en œuvre dans le Nord-Kivu de juillet à août 2014, les chercheurs ont révélé que plus de 8 pour cent de tous les enfants dans les ménages enquêtés ont été séparés de leurs parents et qu’ils étaient venus vivre dans ces ménages depuis les attaques des rebelles. Financée par l’USAID, l’enquête a été menée par des chercheurs de Save the Children en consortium avec Columbia University et Johns Hopkins University.
Actions Concrètes pour la Protection de l’Enfance (ACOPE), organisation de défense des droits de l’enfant basée dans Lubero, déclare venir en aide à plus de 3000 enfants séparés de leurs familles depuis 2006.
Corneille Kambere, chef du Projet de protection d’urgence et d’intervention en faveur des enfants au sein de l’ACOPE, affirme que bien des catastrophes, guerres interethniques, conflits fonciers et conflits armés ont eu de graves conséquences sur les enfants.
Psychologue de formation, Kambere dit que plus de 1500 enfants non accompagnés et séparés de leurs familles ont été réunis avec leurs familles ou placés dans d’autres familles.
Pendant que les enfants attendent d’être réunis avec leurs parents, l’ACOPE leur offre une formation professionnelle en menuiserie et en couture pour les aider à gagner de l’argent pour se procurer de la nourriture, dit-il.
Les familles vérifient régulièrement auprès de l’ACOPE dans l’espoir de retrouver leurs enfants, dit Kambere.
Pour certains parents, la recherche des enfants disparus implique le besoin de parcourir physiquement les villages.
Paluku Kalala a été obligé de partir de son village de Bunyatenge situé à 30 kilomètres (18,6 miles) au nord-ouest pour aller à Kirumba dans l’espoir d’y trouver sa fille qui a été séparée de sa famille au début de cette année.
«Nous étions séparés en cours de route fuyant le conflit ethnique entre les Hutus et les Nande, » dit Kalala. «Je viens d’apprendre que mon enfant serait à Beni, mais je ne sais pas précisément où. Je compte y aller maintenant. »
Kambere affirme que son organisation continuera à utiliser la radio et différents relais dont le fameux bouche-à-oreille ainsi que d’autres stratégies émergentes pour tenter de réunir les enfants avec leurs familles. Mais les vagues de violence dans les régions éloignées rendent le travail interminable et de plus en plus difficile.
Aujourd’hui âgée de 9 ans, Anita Kahindo s’est retrouvée à Kirumba en 2013. Elle est venue de Kimaka, village situé à 7 km (4,3 miles), vers le territoire de Walikale.
«Il y avait une guerre dans notre village. Mes parents étaient au champ. J’ai pris la fuite et rencontré un vieux aussi en fuite, » dit-elle. « J’étais tellement séparée de ma famille que j’ai été obligée de suivre ce vieux jusqu’ici à Kirumba.»
Anita a été présentée devant un comité local en charge des personnes déplacées. Une famille locale a accepté de la prendre en charge tandis que d’autres ont contribué à la recherche de ses parents.
« Je n’ai pas reçu de nouvelles de mes parents, » poursuit-elle avec des yeux remplis de larmes. « Je pense qu’ils ont été tués. »
Jonathan Kiveho a vécu le même cauchemar.
Aujourd’hui âgé de 12 ans, il a fui son village natal de Kanune situé à 25 kilomètres (15,5 miles) à l’ouest de Kirumba en 2015 après l’attaque des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) dans son village.
« Nous avons fui après l’attaque des FDLR dans notre village, » explique-t-il. « C’est à ce moment-là que j’ai été séparée de mes parents. J’ai fait deux jours de marche avec les autres jusqu’ici à Kirumba. Depuis lors, je n’ai jamais vu mes parents. Je vis dans une famille d’accueil qui m’a récupérée dans la rue. »
Comme Jonathan languit de voir ses parents, Fatuma, quant à elle, languit de voir son fils. Avec le temps qui passe, son cauchemar ne fait que continuer.
« Mon fils est toute ma vie, » souffle-t-elle. « Seul l’espoir de le revoir me fait tenir, le jour où je n’aurai plus d’espoir j’en mourrai. »
Traduit de l’anglais by Ndayaho Sylvestre, GPJ.