GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Assise devant sa petite maison en bois, Domina Kuru s’absorbe dans ses pensées, à regarder des avions atterrir et décoller à l’aéroport qui n’est qu’à 30 mètres de sa maison.
Pour la plupart des riverains, le vrombissement est insupportable. Mais Kuru, 62 ans, est quant à elle habituée à ce vrombissement assourdissant. Elle affirme avoir sa manière de s’en abriter.
«Voilà déjà 30 ans que cette maison sert de ma demeure», lâche-t-elle. «Je suis habituée au grondement incessant des moteurs d’avion».
Se trouvant dans le quartier de Majengo, la maison de Kuru jouxte l’Aéroport international de Goma. En tant qu’aéroport principal de la province du Nord-Kivu en RDC, il permet d’assurer le trafic des vols régionaux, internationaux et des Nations unies.
Mais, aujourd’hui, cet aéroport qui est en état de délabrement depuis longtemps, est en cours de reconstruction. Selon des experts et des autorités, un nouveau souffle au secteur des transports dans la région est essentiel pour promouvoir le développement de l’agriculture, améliorer les échanges commerciaux et donner un coup de pousse au secteur minier en plein essor dans la région. Si pas mal d’habitants se réjouissent d’un aéroport moderne, les habitants de Goma vivant à proximité de l’aéroport ont, plus tôt cette année, été informés qu’ils seront obligés de se déplacer pour laisser place à la rénovation.
À en croire Kuru, elle a, en mars, reçu une visite du Projet d’Amélioration de la Sécurité de l’Aéroport de Goma venu lui apporter un message selon lequel elle devait quitter la maison ayant servi de sa demeure pendant des décennies.
«Ils m’ont promis qu’ils me donneraient une juste indemnisation, mais je crains que leur promesse ne soit une utopie plutôt qu’un engagement réaliste», révèle-t-elle. «Quoi qu’il en soit, je veux qu’ils me montrent une maison dans laquelle ma famille et moi vivrons, avant de quitter ici chez moi».
Kuru affirme que non seulement ses voisins mais elle-même aussi ont peur de voir leur réinstallation se faire dans des villages non-aménagés à la périphérie de Goma. À ce jour, peu de communication formelle a été donnée au sujet du processus d’indemnisation et de réinstallation, et l’inquiétude plane parmi les riverains qui craignent que la corruption ou la mauvaise gestion ne s’invitent au grand dam de ce processus déjà difficile.
Différents donateurs régionaux et internationaux se sont déjà engagés à décaisser des millions pour réhabiliter l’aéroport de Goma. En 2015, la Banque mondiale a approuvé une aide non remboursable de 52 millions de dollars pour appuyer les efforts de consolidation de la paix en RDC. L’aide est consacrée à la sécurité et aux travaux à l’Aéroport international de Goma, principale porte d’entrée de l’est de la RDC et lien vital avec le reste du pays. Parallèlement, SAFRICAS-CONGO, une entreprise de construction locale créée en 1923, a signé un contrat d’un montant de 18 millions de dollars pour l’exécution des travaux de prolongement des pistes de l’aéroport dont la longueur initiale était de 3 000 mètres, ce qui permettra des décollages et des atterrissages plus sûrs. Avec l’éruption volcanique du 17 janvier 2020, l’aéroport a été envahi par des laves, réduisant ainsi la longueur de ses pistes. Le prolongement de la piste devrait s’achever d’ici le 1er juillet 2018.
Mais pour laisser place aux pistes plus longues, 35 maisons, y compris celles de Kuru, seront mises à ras. Les autorités ont réduit l’espace requis par 10 mètres de chaque côté pour mettre plus de familles locales à l’abri de l’obligation de déménager.
Les habitants du quartier, à mesure que le temps passe avec le silence des autorités qui restent sans mot dire quant à la date de leur délocalisation, affirment que leur désespoir ne fait que grandir.
Marie Siuzike Mibero, 54 ans, est mère de 11 enfants. Elle reste sceptique quant à l’efficacité du processus d’indemnisation promis aux familles obligées de déménager.
«Ils ont pris une partie de ma parcelle où était construite ma maison», dit-elle à propos de ses récentes conversations avec le personnel de l’aéroport. «Ils m’ont promis de bâtir une autre maison sur la portion restante pour que j’y habite, mais je doute fort que leur promesse soit réalité.»
Un représentant de la Cellule d’Exécution du Projet de Transport Multimodal (CEPTM), agence d’exécution sous tutelle du ministère des Transports et Voies de Communication, affirme que les riverains de l’aéroport ne devraient pas s’inquiéter parce que les dispositions relatives à la réinstallation ont été examinées lors des négociations sur l’accord entre le gouvernement et la Banque mondiale.
Le représentant, se confiant à nous sous couvert de l’anonymat faute d’autorisation de parler à la presse, déclare que tous les frais de réinstallation seront remboursés par le gouvernement au prix en vigueur sur le marché.
Gustave Kashamura, 40 ans, et ses six enfants sont parmi ceux qui seront obligés de déménager. Comme Kuru, il affirme que sa famille craint d’être réinstallée dans un village éloigné, loin du travail et des opportunités d’éducation.
«Ici c’est la ville, et notre maison actuelle est non loin d’un hôpital, et mes enfants ont de plus courtes distances à parcourir pour aller à l’école. Je crains que nos familles ne soient forcées de déménager dans des endroits sous-développés, rendant ainsi la vie difficile pour nous», s’inquiète-t-il.
Le représentant de la CEPTM déclare que le levé topographique réalisé dans la région a révélé que les zones environnantes aujourd’hui couvertes de couches de roche de lave seront aménagées pour que les habitants ne soient pas obligés d’aller s’installer loin. Il sera construit de nouvelles maisons en matériaux plus durables avec un accès plus aisé à l’électricité, a ajouté le représentant.
Toutefois, les habitants disent que cette information ne leur a pas été communiquée, suscitant parmi eux des craintes incessantes au sujet de ce que leur réservent les changements à venir.
Mathias Sekabwa, le mari de Kuru, dit qu’ils sont impatients de connaître leur sort. Il dit qu’il a peur de perdre son emploi si leur réinstallation se fait en dehors de la ville.
«Mon lieu de travail est tout près d’ici, et j’y vais à pied chaque jour car je ne suis pas en mesure de payer les frais de transport. J’espère qu’ils vont penser à cela aussi,» confie Sakabwa.
Jean Baptiste Sengiyumva Musekura, chef du quartier de Majengo, affirme qu’il envisage de s’entretenir avec les autorités du gouvernement aussi provincial que central pour s’assurer du traitement équitable des habitants.
«Nous ferons tout ce que nous pouvons pour aider à ce que les choses s’arrangent à l’amiable», précise-t-il.
Les relocalisations pourraient commencer dans les mois à venir.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.