MASISI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO —Janvier Mugisho était un vendeur ambulant à Bagira, quartier densément peuplé connu localement sous le nom de Bagdad, à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, lorsqu’il a décidé de partir dans le nord pour aller travailler dans les mines.
Il a laissé derrière lui une femme et deux jeunes filles, ceci principalement en raison du fait qu’il entendait parler des mineurs qui faisaient fortune à Rubaya, région au nord-ouest de Goma, chef-lieu de la province du Nord Kivu.
Le voyage fut pénible pour Mugisho. Pour arriver à Rubaya, il lui a fallu d’abord de prendre le bateau Kabare – Goma pour traverser le Lac Kivu toute une nuit, et ensuite prendre un bus Goma – Masisi. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il a trouvé un emploi dans l’une de nombreuses mines de coltan et de cassitérite trouvées dans la région pour y rejoindre un groupe d’autres 30 mineurs qui étaient engagés dans les travaux miniers souterrains six jours par semaine. Ils étaient tous en quête des substances minières utilisées dans la fabrication des téléphones portables, des ordinateurs et d’autres appareils high-tech.
Le travail n’était pas une sinécure mais Mugisho parvenait à envoyer de l’argent à sa famille. Pour huit heures de travaux souterrains en quête de substances minières, il gagnait 4.000 francs congolais (4 $).
Au bout d’un an de travail dans les mines, il a rendu visite à sa famille avec 500 $ en poche.
« Avec son arrivée à la maison, ce fut le jour le plus heureux de notre vie, » glisse sa femme Faida Maliyamungu, 32 ans. «Je lui ai préparé son plat préféré … fufu et poulet. Les enfants étaient ravis de voir leur père, mais j’étais aux anges mieux que quiconque. »
La famille a décidé d’acquérir des terres tout en pensant à construire une maison en cas de son retour définitif.
«Notre vie allait changer. Nous étions rayonnants de joie et l’espoir se lisait sur nos visages,» explique-t-elle.
Et quelques semaines plus tard, la vie de Mugisho fut fauchée.
Ne pouvant pas fuir son angoisse, ce fut en vain que Maliyamungu tenta d’obtenir l’indemnité de décès ; et pour cause, son mari, à l’instar de la grande majorité des mineurs à Rubaya, travaillait sans contrat.
«En RDC, l’industrie minière souffre d’un manque d’organisation», explique Janvier Murairi, chercheur en droits de l’homme et président de l’ASSODIP, groupe de surveillance de la gestion des ressources naturelles. «Il règne un désordre, et la corruption y est omniprésente. Ainsi, quand un creuseur meurt, le propriétaire minier n’a de compte à rendre à personne.»
Les décès dans le secteur minier informel sont tellement devenus monnaie courante ici que le mot « fuko » est devenu un terme à la mode chez la population pour signifier « être couvert par la terre.»
Les journalistes de Global Press Journal dans trois provinces n’ont pas trouvé une seule famille qui témoigne d’avoir obtenu une indemnisation pour la mort de son proche ayant péri dans les mines informelles ou artisanales et qui, dans certains cas, était exploité par des sociétés minières.
Les représentants de la Société Minière de Bisunzu (SMB) et de la Coopérative des exploitants artisanaux miniers de Masisi, COOPERAMMA, en sigle, deux sociétés actives au niveau local dans le secteur minier, ont déclaré à GPJ que les accidents sont rares grâce aux nouvelles techniques d’exploitation minière à ciel ouvert. Toutefois, ces deux sociétés ne lâchent aucun mot qui fait allusion au nombre de leurs mineurs travaillant de manière formelle ou informelle et se sont refusées à tout commentaire sur le statut juridique de leurs travailleurs.
Robert Seninga, président de la COOPERAMMA, affirme que lorsqu’un mineur meurt au travail, la coopérative verse à la famille divers montants à titre de soutien.
«Aucune indemnisation ne peut servir de remède à la douleur causée par la perte d’un être cher», dit Seninga. «Ce que nous faisons, c’est d’apporter un soutien nécessaire à la famille de la victime.»
Seninga reconnaît la présence des travailleurs illégaux qui envahissent les mines et décline toute responsabilité de la société. Ces travailleurs illégaux envahissent les mines en dehors des heures de travail, convient-il.
« Les travailleurs informels qui viennent essayer de travailler la nuit se mettent dans une situation difficile susceptible de donner lieu à un accident, » ajoute-t-il.
D’après une enquête de l’ASSODIP, il existe environ 5 000 mineurs actifs dans Rubaya, mais seulement environ 600 d’entre eux sont légalement connus. ASSODIP est l’acronyme de « Association pour le Développement des Initiatives Paysannes.»
«Nous avons constaté que le nombre de creuseurs enregistrés est totalement différent de la réalité sur le terrain où l’on assiste à un grand nombre de mineurs illégaux,» explique Murairi.
Il n’y a pas un seul mois qui passe sans que l’on assiste à la mort d’un mineur à Rubaya, explique Dunia Tibere, directeur de programme à l’Observatoire Gouvernance et Paix, organisation ayant pour vocation de promouvoir la gestion durable des ressources naturelles au profit des communautés touchées par les activités minières artisanales. Les mineurs emploient souvent des équipements rudimentaires et ne peuvent avoir accès à des équipements de protection adéquats, dit Tibere.
La règlementation minière est souvent bafouée. Bien que le Ministère des mines interdise aux mineurs de creuser des puits de plus de 30 mètres de profondeur, ils creusent des puits allant généralement jusqu’à 200 mètres de profondeur.
«La mort des mineurs est souvent causée par l’éboulement des terres, le manque d’oxygène, l’asphyxie ou la panne de machines,» déplore Tibere.
La mort de Mugisho a été imputable à tout un éventail de problèmes. Maliyamungu et Action Baguma, ami d’enfance de Mugisho, ont enquêté sur les circonstances de sa mort et se sont confiés à un journaliste de Global Press pour révéler les circonstances de sa mort.
Quelques semaines après son retour dans la mine après la visite de sa famille, Mugisho est descendu dans un puits de mine en compagnie de 17 autres mineurs et une pluie forte s’est mise à tomber, et l’eau a coulé dans le puits, causant ainsi son effondrement. Des tas de sable noir ont bloqué les voies d’évacuation, piégeant les mineurs sous la terre. C’est après quelques heures que d’autres mineurs sont venus à leur secours et ont pu sauver certains d’entre eux et retrouvé un seul corps sans vie.
D’autres, y compris Mugisho, restent toujours portés disparus. On ignore encore de ce qui est advenu de son corps.
Baguma affirme que seule la carte d’identité de Mugisho a été retrouvée sur les lieux.
« Quand nous avons appris la survenance de l’éboulement des terres sur le site de travail de mon mari, je ne pouvais pas penser qu’il figurait parmi ceux qui avait péri, » dit Maliyamungu.
Les conditions dangereuses qui ont conduit à la mort de Mugisho sont encore fréquentes à Rubaya.
Tout en déplorant l’insécurité dans les mines, Gode, 25 ans, a confié sous couvert d’anonymat que les mineurs sont traités comme des machines.
«Notre sécurité est le cadet des soucis de ceux qui sont chargés de la supervision du creusement des puits de mine, et nous sommes continuellement laissés en proie aux affres de la mort,» déplore-t-il. « En fait, nous sommes considérés comme des personnes qui sont déjà mortes, parce que quand quelqu’un entre dans un puits de mine, personne ne peut espérer le revoir. »
Ndabazi, 33 ans, qui a également requis l’anonymat, a survécu cinq ans dans les mines de Rubaya. Les mines constituent une menace perfide pour la vie, souffle-t-il, surtout quand les pluies arrivent.
« Pendant la saison des pluies, les glissements de terrain se produisent et nous prennent au piège à l’intérieur des mines, causant des morts par suffocation, » dit-il. « Seuls ceux qui sont chanceux s’en sortent. La plupart de nos collègues mineurs ont creusé des fosses sans toutefois savoir qu’ils creusaient leur propre tombe. Ils ont péri dans les entrailles des mines, et leurs corps n’ont jamais été retrouvés. »
Gode dit qu’il a entendu parler des familles qui ont été indemnisées après la mort de l’un de leurs proches dans les mines.
« Le montant de l’indemnisation pouvant être versée à une famille dépend de la pression exercée sur les exploitants miniers, » se souvient Gode. « Il y en a qui reçoivent 1000 $ ou 300 $. »
Toutefois, il affirme ne pas connaître personnellement une quelconque famille ayant joui d’un droit à une telle indemnisation.
Pour Maliyamungu, femme de Mugisho, aucun espoir ne lui reste plus de recevoir un jour l’indemnisation pour la mort de son mari.
«Chaque jour qui passe, je me souviens de mon mari. Il est mort et j’ai dû élever seule mes deux enfants, mais ce qui m’attriste chaque jour, c’est que je n’ai pas eu la chance de retrouver son corps pour l’enterrer. »
Article rédigé avec la participation de Noella Nyirabihogo, GPJ.
Traduit de l’anglais pas Ndayaho Sylvestre, GPJ.