KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Il est 13 heures passées de quelques minutes et des gens à Kisangani affluent vers des restaurants de fortune dits malewa pour calmer leur faim.
Charles Mputu, étudiant en graduat à l’Université de Kisangani, est un client fidèle de malewa. Chaque fois que l’heure du déjeuner sonne, raconte-t-il, il se précipite vers un malewa proche de l’université pour « se régaler ».
« J’aime manger au malewa parce que tout le monde peut y trouver de quoi manger, quelle que soit sa classe sociale », confie-t-il. « Mes amis et moi y allons, mangeons ensemble et partageons la facture. On nous donne une grande quantité de nourriture qui nous aide à résister jusqu’au prochain repas plus tard dans la journée ».
Comme la plupart des malewa proposent des plats composés d’ingrédients locaux bon marché comme le riz, les feuilles de manioc et les haricots, leurs clients peuvent manger pour pas cher. À l’en croire, Mputu peut se sustenter pour aussi peu que 500 francs congolais.
Les malewa se sont érigés en restaurants préférés pour les Congolais voulant s’offrir à manger avec un maigre budget. De l’avis des experts locaux, pourtant, ces malewa ne se conforment pas aux normes d’hygiène, et des clients affirment avoir été tombés malades après y avoir pris un repas. Et malgré le risque d’attraper des maladies, les gens ne cessent de fréquenter les malewa, car ils restent souvent les meilleures options pour un repas à bas prix à Kisangani.
Les Malewa sont de petites structures en bois ou en bambou, avec des bancs, des tables et des toits en paille ou en bâche. Le terme « malewa » renvoie en outre au repas servi dans ces restaurants. Les malewa se retrouvent dans les moindres recoins de Kisangani.
Les propriétaires de malewa sont majoritairement des femmes. Certains malewa disposent de frigos, mais beaucoup sont confrontés à l’insuffisance de matériel. Lors d’une récente visite à l’un des malewa, une journaliste de Global Press Journal a vu des propriétaires laver la vaisselle dans de l’eau sale. Ils lui ont affirmé ne pas pouvoir le faire autrement faute d’accès à l’eau.
Selon Aristote Bolamba Lituka, inspecteur de santé à l’Inspection provinciale de la Santé, nombreux sont les malewa exploités sans être enregistrés ou temporairement, ce qui fait qu’il est impossible de connaître leur nombre exact.
Aux dires de Lituka, aucun malewa à Kisangani ne répond aux normes d’hygiène. Selon lui, jusqu’à 15 clients peuvent prendre leur repas dans un espace conçu pour six personnes, et les gens peuvent partager des verres à eau et des ustensiles de cuisine disponibles en nombre insuffisant.
« Les malewa ne répondent toujours pas aux normes d’hygiène, car les clients s’y retrouvent nombreux, entassés comme des sardines et cet entassement peut être à l’origine des épidémies de maladies infectieuses », explique Lituka.
Alors que les autorités sanitaires sont censées inspecter les malewa une fois par semaine, révèle Lituka, l’inspection provinciale manque de moyens financiers pour déployer suffisamment d’inspecteurs sur le terrain. Cette pénurie, à laquelle s’ajoute l’exploitation discrète de beaucoup de malewa, rend impossible l’inspection de certains de ces restaurants.
Les autorités menacent de procéder à la fermeture imminente des malewa qui ne se conforment pas aux normes d’hygiène, confie Lituka. Un exploitant peut demander la réouverture de son établissement après avoir prouvé l’amélioration de l’hygiène.
Pourtant, comme l’affirment certains propriétaires de malewa, soudoyer les inspecteurs est le moyen de se mettre à l’abri de la fermeture des portes.
« Comme mon travail se fait ici au bureau, je ne peux pas confirmer si les techniciens que nous envoyons sur le terrain se laissent corrompre ou non », avoue Lituka. « Cependant, mon équipe et moi allons commencer à en faire le suivi ».
Certains malewa s’efforcent d’améliorer l’hygiène, précise Lituka, mais il reste encore beaucoup à faire.
Selon Lolo Ofoili, médecin chef de zone de santé Makiso, un quartier de Kisangani, des gens ont attrapé la fièvre typhoïde après avoir mangé des aliments malsains comme le malewa. La fièvre typhoïde se transmet par la consommation d’aliments ou d’eau contaminés ou par un contact étroit avec une personne infectée.
Souvent, a-t-il ajouté, les propriétaires de malewa déposent des déchets alimentaires et autres près des établissements, attirant des insectes qui y circulent et propagent des maladies.
Chantal Somba, étudiante à l’université de Kisangani, est tombée malade après avoir mangé dans un malewa.
« J’étais la meilleure consommatrice de malewa », déclare-t-elle. « Je ne pouvais pas m’en passer. C’était mon repas quotidien préféré. Malheureusement, j’ai tourné le dos à malewa il y a un an, parce que j’avais attrapé la fièvre typhoïde. Un médecin de l’hôpital m’a recommandé de ne plus manger au Malewa ».
Selon Somba, elle était au courant du risque de maladie mais n’avait pas d’autre choix que de manger au malewa.
Des propriétaires et clients considèrent le malewa comme une ressource inestimable, malgré ses risques potentiels pour la santé.
Pauni Amisi est l’une des vendeuses de malewa à Kisangani. Elle est engagée dans le domaine de la restauration depuis 2008 et affirme qu’elle gagne entre 15 000 et 20 000 francs par jour.
« Avec ça, je suis capable de payer les études de mes huit enfants et les nourrir », explique Amisi.
Ofoili affirme que la fermeture des malewa rendra la vie difficile à bien des gens à Kisangani à savoir les propriétaires et les clients dont la survie dépend de ces restaurants.
André Alonga, vendeur de chaussures au marché central de Kisangani, affirme avoir toujours hâte de savourer son « délicieux plat de malewa » chaque jour à l’heure du déjeuner.
« Je rentrais à la maison pour le déjeuner, mais j’ai fini par constater que je gaspillais beaucoup d’argent, puisque je devais dépenser 2 000 francs congolais par jour », précise-t-il. « Aujourd’hui, 500 francs congolais me suffisent pour calmer la faim ».
Comme les gens risquent de devenir la proie de la faim, Ofoili avoue que le malewa n’est « pas si mauvais que ça ».
Il exhorte les exploitants des malewa à utiliser un matériel propre pour préparer et servir leurs repas.
Mputu, étudiant universitaire, affirme que les clients réguliers demeurent fidèles envers le malewa.
« Certaines gens nous qualifient de malewistes et nous disent souvent que nous consommons des aliments qui ne sont pas bien soignés », révèle-t-il. « Mais cela ne m’a jamais empêché de manger dans le malewa, car c’est un calme-faim le plus rapide ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.