RUTSHURU, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — C’est un signe de bon augure dans cette région en proie à des conflits. À quelques kilomètres de la route principale, une foule s’affaire à la réhabilitation d’un pont qui permettra aux agriculteurs et aux commerçants d’emprunter encore une fois le tronçon Mabungo-Buturande. Les étudiants eux aussi ne seront plus obligés d’emprunter de longs trajets pour se rendre à leurs écoles et universités.
Cette main-d’œuvre engagée dans la construction du pont est inédite en ce qu’elle est composée majoritairement de femmes dont Charline Kavira.
Vêtue d’une salopette bleue et de bottes en plastique, Kavira charge une brouette de sable au moyen d’une bêche tandis que d’autres utilisent de longs bâtons pour compacter le sol. L’ambiance est joviale, et les femmes entonnent à l’unisson des chansons traditionnelles, pour «booster notre endurance et notre force», explique la femme âgée de 35 ans.
Déplacée de guerre, Kavira est veuve et mère de trois enfants. Elle a été chassée de sa maison par un conflit à Beni, petite ville située à environ 276 kilomètres au nord de la région où elle aide à la construction du pont près de Rutshuru au Nord-Kivu. Elle et ses enfants ont trouvé refuge ici après avoir assisté à la mort de son mari tué à coups de machette en août.
Rutshuru abrite de nombreuses femmes déplacées en raison des conflits qui ravagent toute la région. Des femmes, comme Kavira, ont fui en août les tueries attribuées aux rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF) à Beni qui ont coûté la vie à 100 personnes tuées à coups de machettes, de marteaux et de couteaux. Teddy Kataliko, membre du Comité de coordination de la société civile à Beni, confirme le décès de 51 civils en une seule journée — le 14 août 2016.
À son arrivée à Rutshuru, Kavira n’a eu d’autre choix que de travailler des champs avec un salaire en dessous du minimum vital.
«Après un mois de souffrance, j’ai entendu à la radio que les femmes vulnérables étaient invitées à se faire embaucher comme ouvrières pour effectuer des travaux de réhabilitation du pont. C’est ainsi que je me suis inscrite gratuitement comme ouvrière sur le chantier, avec d’autres femmes de la région», confie Kavira.
Kavira est l’une de 335 ouvriers recrutés pour réhabiliter le pont Buturande, dont 153 sont considérés comme des femmes vulnérables au nombre desquelles figurent des veuves déplacées, des veuves de militaires et de civils. Le reste est constitué d’hommes des quartiers de Buzito, Murambi, Rutshuru et Giseguru dans la région de Rutshuru.
Kavira gagne 4 800 francs congolais par jour. Elle épargne 2 dollars US par jour en prévision des dépenses futures et pour pouvoir démarrer, un jour, son petit commerce, lance-t-elle.
Kavira ne doit rester ouvrière sur le chantier que pour 70 jours. À la fin de ce délai, ces femmes ouvrières sont obligées de céder leur place à d’autres femmes vulnérables qui, à leur tour, peuvent gagner de l’argent en travaillant sur le pont.
La reconstruction du pont est un projet conjoint financé par le gouvernement japonais et réalisé par le Centre d’intervention et de promotion sociale participative, une organisation locale qui œuvre au développement communautaire à Rutshuru et dans ses environs.
L’objectif n’est pas seulement de reconstruire le pont, explique Jean Marie Moké, superviseur des travaux de réhabilitation du Pont Buturande. «Aussi avons-nous pour mission d’employer des femmes vulnérables pour montrer à la communauté que les femmes sont capables d’être utiles au moyen des travaux communautaires sans distinction d’origine, de tribu, de race ou de sexe» dit-il.
Le nombre de femmes travaillant en équipe dans une région où la plupart des femmes sont dans le commerce ou l’agriculture, «est presqu’inédit», explique Chrisostome Mulenga, habitant de Rutshuru. «C’est vraiment une innovation».
Comme la plupart des travaux de routes et de ponts en RDC demeurent la chasse gardée des hommes, «voir des femmes passionnées travaillant si dur sur des chantiers de construction est un phénomène inédit, nous devons les encourager», explique Julien Ndakola, habitant du quartier voisin de Buzito.
Quant à Kavira, l’argent qu’elle gagne l’aide à pourvoir aux besoins de sa famille. Une fois la paix restaurée, elle envisage de retourner à Beni.
«Je ne veux rien de plus que de rentrer chez moi pour cultiver mes champs et nourrir mes enfants sans aucun obstacle», renchérit-elle.
La population locale se félicite de la réhabilitation du pont Buturande qui était abandonné depuis 2004.
«Nous sommes ravis de constater que nous allons encore une fois nous servir de ce pont après tant d’années», affirme Paul Banyungu, qui habite non loin du pont. «Je ne voyais que des gens passer de l’autre côté du pont sans pouvoir le traverser. Maintenant que les travaux de réhabilitation ont commencé, j’ai de l’espoir».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.