Haiti

Davantage de financement des hôpitaux, cette nécessité qui s’impose à Haïti face à l’insuffisance rénale qui se propage

La défectuosité des équipements médicaux et la pénurie de fournitures médicales requis pour réaliser la dialyse se traduisent par la rareté éventuelle de traitements et la cherté des soins médicaux dans des hôpitaux privés au grand dam des malades. Dans une nation dont la survie dépend des importations de produits alimentaires transformés malsains et fragilisée par des catastrophes naturelles en chaîne, les principales causes de l’insuffisance rénale que sont le diabète et l’hypertension restent le sort de nombreux habitants.

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As Kidney Disease Runs Rampant in Haiti, Greater Funding for Hospitals Is Needed

Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

Rachelle Marcelin est assise dans la salle d’attente d’un hôpital public à Port-au-Prince, à Haïti. Des machines de dialyse y sont souvent en panne, ce qui conduit à l’irrégularité des traitements.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Rachelle Marcelin se tortille sur sa chaise sous l’effet de douleurs aiguës qui lui traversent le bas-ventre. La petite salle d’attente de l’hôpital regorge de dizaines de personnes en quête d’une dialyse rénale, et dont elle fait partie. La plupart d’entre elles sont là depuis plusieurs heures.

Au dire de Marcelin, elle attend qu’un médecin prononce son nom, sachant que cette chance reste improbable.

Marcelin doit se rendre à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), un hôpital public sis à Port-au-Prince, capitale d’Haïti, une fois par semaine pour un traitement de dialyse. Elle a une insuffisance rénale chronique depuis trois ans et elle a été mise sous traitement peu de temps après le diagnostic.

Et pourtant, le traitement de Marcelin a été irrégulier. Souvent, des appareils de dialyse à l’hôpital sont hors service, et parfois elle est trop fauchée pour se payer une séance.

Des fois, ses parents, voisins et amis contribuent financièrement pour son traitement, mais elle a peur qu’elle ne vive plus longtemps si la panne de ces appareils de dialyse continue à s’inviter.

« Cette maladie est un fardeau pour moi », confie-t-elle. « Me réveiller le matin et me retrouver encore en vie est une chance pour moi, mais survivre le jour suivant semble pour moi un rêve utopique ».

Les patients atteints d’insuffisance rénale chronique à Port-au-Prince ont du mal à accéder aux soins de santé appropriés. Le traitement par dialyse, processus filtrant le sang lorsque les reins ne fonctionnent plus correctement, est offert à l’HUEH, lequel établissement dessert les habitants de Port-au-Prince et des villes voisines. Aussi ce traitement est-il offert dans des hôpitaux privés, mais y est trop coûteux pour certains. Et pour ceux qui sont mis sous traitement par dialyse à l’hôpital public, le traitement se raréfie par la défectuosité des équipements et la pénurie de fournitures.

Selon une étude publiée en 2014 dans le journal Transactions of the American Clinical and Climatological Association, il existe 200 millions de personnes atteintes d’insuffisance rénale chronique dans le monde. À Haïti, environ 300 000 habitants souffrent de diabète, ce qui est un indicateur de la maladie rénale. Et pourtant ! On ne dispose d’aucune statistique sur le nombre d’Haïtiens atteints d’insuffisance rénale.

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Marie Michelle Felicien, GPJ Haïti

De nombreux Haïtiens souffrent d’insuffisance rénale chronique, mais le traitement dans les hôpitaux publics est souvent perturbé alors que les coûts de traitement dans les hôpitaux privés restent financièrement rédhibitoires pour la majorité des Haïtiens.

L’insuffisance rénale chronique survient lorsque les reins sont incapables de retirer du sang l’excès de liquides et les déchets du métabolisme. Un certain nombre de raisons en étant à l’origine, certaines gens sont nées avec des anomalies susceptibles d’empêcher les reins de bien fonctionner. L’insuffisance rénale peut aussi être une maladie à prédisposition génétique.

Le diabète et l’hypertension augmentent également le risque d’insuffisance rénale chronique surtout que la filtration des taux élevés de glucose sanguin et une pression artérielle non contrôlée surchargent les reins. Selon la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardiovasculaires, une fondation médicale locale, l’hypertension est la principale cause de décès chez les Haïtiens. Deux millions d’adultes haïtiens souffrent d’hypertension.

Une fois consommés régulièrement, les produits alimentaires transformés contenant souvent des taux élevés de sucre et de sel peuvent conduire à ces maladies, explique Maurice Mainville, directeur exécutif de l’HUEH. Haïti étant incapable de produire assez de denrées alimentaires pour nourrir son peuple, ce dernier dépend fortement des importations alimentaires des États-Unis et du Brésil. Plus de la moitié de ces importations sont des aliments transformés bon marché par rapport aux aliments biologiques produits localement qui, en raison de contraintes financières, restent hors de portée de certains Haïtiens.

Des catastrophes naturelles récurrentes ont également mis à rude épreuve le gouvernement et le peuple. L’ouragan Matthew a frappé le sud d’Haïti en 2016 tout en causant des dégâts de près de 500 milliards de gourdes haïtiennes, soit 32 pourcent du produit intérieur brut. Les dépenses publiques annuelles en matière de soins de santé représentent 8 pourcent du produit intérieur brut.

Bien que l’insuffisance rénale chronique ne puisse être guérie, la détection précoce et le traitement par dialyse approprié peuvent améliorer l’espérance de vie, dépendamment de l’état et des antécédents médicaux du patient. Toutefois, le manque de revenus empêche certains patients de se faire soigner dans des hôpitaux privés qui, pour beaucoup, sont chers mais efficaces. L’assurance-maladie n’étant pas obligatoire dans le pays, rares sont les Haïtiens qui souscrivent une assurance médicale, ce qui rend l’accès au traitement encore plus difficile.

Le coût d’une séance de dialyse à l’HUEH est de 2 000 gourdes contre 6 000 à 15 000 gourdes dans un hôpital privé.

Chaque mois, l’HUEH reçoit au moins six patients atteints d’insuffisance rénale chronique. Mais, de l’avis des patients, les soins et le traitement ne sont pas appropriés car les appareils de dialyse passent des semaines de suite sans fonctionner. L’hôpital compte huit appareils de dialyse, mais lors de notre interview avec le personnel en octobre 2017, cinq d’entre eux étaient hors service.

Mainville affirme que l’hôpital a besoin d’environ 2 millions de gourdes par mois pour la maintenance et l’entretien de ces machines. Cela permettrait de garantir le traitement de chaque patient pour chaque séance de dialyse programmée, explique-t-il. Mais les allocations mensuelles du gouvernement en faveur de l’hôpital sont environ 780 000 gourdes.

La mère d’Ismaël Anestil a reçu son diagnostic d’insuffisance rénale chronique il y a déjà trois ans, et ce, quand Anestil avait 15 ans. Depuis, il l’accompagne à l’hôpital public pour son traitement. La prescription médicale veut que la mère d’Anestil se présente deux fois par semaine pour une séance de dialyse. Mais, avoue-t-il, le financement du traitement n’a pas été chose facile après le décès de son père qui était le soutien de famille.

« Les coûts [de traitement] sont beaucoup plus élevés par rapport à nos moyens financiers », témoigne-t-il. Des membres de famille vivant à l’étranger envoient de l’argent pour aider au traitement, mais Anestil dit que sa mère peut rater des séances pendant des semaines si l’argent n’arrive pas à temps.

D’autres ratent des séances face à l’obligation de débourser l’argent pour acheter dans des pharmacies certaines fournitures requises pour la dialyse. Au nombre de ces fournitures figurent des dialyseurs qui ne peuvent être réutilisés avec un coût pouvant aller jusqu’à 6000 gourdes chacun. Pour Roudolphe Laguerre, 66 ans, qui n’a pas d’emploi et qui reçoit un traitement à l’HUEH, la maladie a créé un fardeau financier. Selon ses dires, ses enfants l’aident à acheter ces fournitures afin qu’il ne rate pas ses traitements trop souvent.

À son avis, Mainville espère que le gouvernement investira dans des soins de santé de qualité, mais qu’il est tout aussi important pour les Haïtiens d’adopter des habitudes alimentaires saines et des routines d’exercice pour prévenir le diabète, l’hypertension et les maladies rénales chroniques.

Adapté à partir de sa version originale en français par SNdayaho Sylvestre, GPJ.