TITANYEN, HAÏTI — Cette ville côtière au nord de Port-au-Prince, capitale d’Haïti, est réputée pour être l’endroit où des corps sont jetés. Elle est le site de fosses communes – et plus de 10 000 victimes y ont été enterrées après le séisme de 2010. Les populations locales savent que c’est aussi le lieu où les corps de ceux qui ont osé braver les dictatures duvaliéristes ont été jetés.
Nahomie Edmond Hogarth, 37 ans, affirme également que c’est l’endroit où Dieu lui a demandé d’ouvrir un orphelinat.
L’orphelinat de Hogarth, L’amour du Prochain, est l’endroit où elle réconforte, habille, éduque et nourrit des enfants à la place des parents de ces derniers qui n’ont plus les moyens ni la capacité de s’acquitter de ce devoir parental. Cet orphelinat communautaire a ouvert ses portes en 2013 avec trois enfants. Aujourd’hui, il s’occupe de 14 enfants.
Chacun des enfants pris en charge par Hogarth a au moins un parent ou un proche parent, mais avec la précarité économique, des familles ont choisi de placer leurs enfants dans cet orphelinat où ils sont nourris et, peut-être, mieux pris en charge que s’ils étaient restés dans la rue.
Ce phénomène est assez courant à Haïti où environ 80 pour cent des enfants placés en orphelinats ont au moins un proche parent en vie, selon la Fondation Lumos, une organisation non gouvernementale créée par J.K. Rowling, auteur de «Harry Potter». La fondation collabore aujourd’hui avec le gouvernement haïtien pour assurer la désinstitutionalisation des enfants et offrir des services communautaires et un appui aux familles en vue d’aider les enfants placés en orphelinats à retourner dans leurs familles.
Selon Islande Gérôme, 31 ans, dont le fils Jonelson Olemar, 7 ans, vit dans l’orphelinat de Hogarth, elle ne pouvait plus s’occuper de son fils séropositif et handicapé. Et, sans emploi, elle s’est retrouvée à la rue et, quoiqu’une autre maman ait accueilli son fils Nelson chez elle, affirme Gérôme, cette maman n’a pas manqué de stigmatiser ce fils.
Gérôme dit qu’elle a ensuite rencontré Hogarth, qui lui a conseillé de placer son fils dans l’orphelinat où il jouit aujourd’hui d’un fauteuil roulant, de nouveaux vêtements et de la présence de quelqu’un devant l’emmener à l’hôpital pour le faire soigner.
«J’ai été surprise par l’amour avec lequel elle a accueilli mon fils», révèle Gérôme. «Mon fils est bien mieux dans l’orphelinat L’amour du Prochain. S’il arrive que je meure, je sais que mon fils restera entre de bonnes main».
Un autre enfant vivant dans cet orphelinat a failli être jeté dans des ordures à l’âge de 4 mois. Et un passant a aidé sa maman à confier sa garde à Hogarth.
«C’est triste à dire», déclare Hogarth, «mais elle n’était plus capable de pourvoir aux besoins de son bébé».
L’amour du Prochain a également ouvert une école au sein de l’orphelinat et invité les enfants du quartier à en profiter. Hogarth affirme n’avoir reçu aucun sou de la part du gouvernement et ne compte que sur l’appui de son mari et des amis de ce dernier, de ses cinq frères, de ses propres amis et des pasteurs au sein sa communauté.
«Tous ces gens comprennent mon engagement et mon sacrifice envers Dieu pour servir ses enfants comme si c’était les miens», dit-elle.
Jean Mendes Oscar, pasteur à l’Église Évangélique de Titanyen, affirme que Hogarth a fait une différence au sein de la communauté et offre aux élèves un niveau d’éducation qu’«aucune des écoles payantes dans notre communauté ne peut offrir».
Bien que Hogarth demande une contribution de 1 000 gourdes haïtiennes (environ 16 dollars) par an, elle n’expulse jamais un enfant ayant soif d’apprendre mais dépourvu de moyens, note-t-il.
Yonelson Norde, 14 ans, dit qu’il aspirait à une vie scolaire mais qu’il s’est vu refuser l’accès car, faute de moyens, ses parents ne pouvaient pas l’envoyer à l’école.
«J’ai sauté sur l’occasion d’apprendre à lire et à écrire», lance-t-il.
Hogarth dit que son secret c’est qu’elle traite les enfants comme s’ils étaient les siens. «La meilleure des choses dont les enfants ont besoin pour survivre, c’est l’amour et l’affection dans leurs familles. L’avenir de notre pays est, en grande partie, entre leurs mains. Et en l’absence de chances d’une vie digne, le désir d’en faire des citoyens responsables ne restera, en réalité, qu’un rêve chimérique».
Hogarth nourrit le rêve de voir tous les enfants dont elle s’occupe «devenir des hommes et des femmes dotés de compétences utiles à eux-mêmes et à leur société».
Hogarth affirme avoir assumé cette responsabilité le jour où elle a ouvert L’amour du Prochain.
«Malgré la lourdeur de la tâche, je sais qu’avec l’aide de Dieu, mon objectif deviendra réalité», rassure-t-elle.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.