PORT-AU-PRINCE, HAÏTI — Se déhanchant à un rythme sonore et forçant leur passage dans des voitures garées et des foules immenses, une ribambelle de femmes en robes multicolores défile dans une rue achalandée de Port-au-Prince, capitale d’Haïti. Tambourinant et vociférant, on voit des gouttes de sueur perler sur leurs fronts. Des passants, eux aussi, se faufilent dans ce cortège de fêtardes, se mettant à danser et à applaudir les musiciens.
Même si le carnaval, fête d’envergure nationale de trois jours, touche à sa fin à Port-au-Prince, ce groupe exclusivement féminin et d’autres groupes continuent à perpétuer le style traditionnel de musique et de dance connu sous le nom de rara.
« Nous avons toutes appris à jouer de différents instruments », explique Gyna Sylliona, 36 ans, joueuse de gong et patronne du groupe. Elle est membre du groupe de rara local Voudoula depuis 2005. Chaque année, son groupe se produit vers la fin du carnaval, généralement en février, juste avant le carême, période de repentance, de jeûne et d’autoréflexion de 40 jours observée par les chrétiens.
Introduit durant l’époque coloniale haïtienne, ce style de musique et de danse est traditionnellement dirigé et joué par des hommes chefs religieux. Pourtant aujourd’hui, il devient de plus en plus une forme de spectacle pour le grand public et, partout au pays, des femmes en font leur gagne-pain.
Quoiqu’Haïti ait embrassé le christianisme sous domination coloniale, les religions traditionnelles à l’instar du vaudou, connu à Haïti sous le nom de vodou, sont encore courantes chez la majorité des Haïtiens. Selon les estimations, 80 pourcent de la population pratiquent le catholicisme, mais le vaudou, plein de pratiques qui s’érigent en un culte aux esprits des ancêtres, est encore répandu et parfois fusionné avec d’autres croyances religieuses.
La musique et la danse rara, généralement dirigées par des hommes prêtres vaudous que l’on appelle « houngans », sont l’incarnation des éléments du système de croyance traditionnel, remarque Peterson Gradasse Toussaint, prêtre vaudou à Port-au-Prince. Les membres du groupe font revivre les esprits ou « lwa », avant et pendant leurs spectacles, dit-il.
« Rara est une tradition sacrée à Haïti et se transmet de génération en génération », souligne-t-il.
Toutefois, en dépit de sa longue histoire, ce style de musique et de danse a évolué avec le temps. Des groupes de rara modernes se servent d’une gamme d’instruments dont, entre autres, la guitare. Aussi, pendant des années, les artistes ont-ils fait usage des instruments clés au nombre desquels figure le vaksen, une trompette traditionnelle en bambou, et de gros tambours sur cadre en peau de chèvre.
Ayant démarré le 11 février, les festivités carnavalesques de cette année ont rassemblé une foule typiquement hétéroclite.
« Les moments de carnaval font penser à notre belle culture haïtienne ainsi qu’à notre histoire », explique Delva Ricardo, 25 ans, qui vit dans la ville et participe à la célébration chaque année. Bien que les spectacles de rara les plus courus se déroulent à la fin du carnaval, les membres du groupe se fient, pendant toute l’année, sur ce spectacle pour gagner de quoi vivre.
Pour Sylliona, devenir membre d’un groupe de rara était quelque chose qu’elle avait tant souhaité depuis l’âge de 16 ans.
« Depuis que j’ai intégré un groupe de rara en 2005, je me suis sentie comme dans un monde que j’ai tant cherché, et finalement je l’ai retrouvé », témoigne-t-elle. Bien que Sylliona ne se confie pas sur le montant de ses revenus en raison d’accords de confidentialité, elle dit gagner assez de fric pour se prendre en charge grâce aux spectacles chez des adeptes du vaudou dans plusieurs villes.
Barbara Dja est également membre de No Limit Rara Famn, groupe de rara de femmes comptant 21 membres basé à Pétion-Ville, une banlieue au sud de la capitale. Selon Dja, qui est nouvelle dans le groupe, dit qu’elle a joué dans la célébration du carnaval de cette année. Pour jouer pendant le carnaval, les membres du groupe s’entraînent généralement pour trois à quatre mois à l’avance. Pourtant, Dja, qui a intégré le groupe tout récemment, affirme qu’elle a pu se produire lors de la célébration de cette année.
« Ça fait déjà un mois que j’ai intégré un groupe de rara de femmes et participé aux répétitions », révèle-t-elle. « M’y mettre à fond avec amour et volonté est la clé de ma réussite ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.