GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO – Une vingtaine de femmes congolaises issues de différents partis politiques sont toutes habillées pareilles en kitenge, tissu wax en coton lourd qui est très prisé ici. Et ces femmes disent qu’elles en ont assez d’être considérées comme de simples observateurs et des pom-pom girls.
Ces femmes ont une bonne raison de se plaindre. Au nom de la pratique locale, le rôle des femmes politiques ne se limite qu’à chanter et à applaudir lorsque les hommes sont en train de tenir des réunions ou prendre des décisions importantes.
Ces femmes n’ont qu’un seul objectif: Gagner l’accès au pouvoir politique. Exercer une influence. Participer à la prise de décisions.
« Je pense que la femme ne devrait pas être là pour acclamer et danser pour les hommes, » grince Thérèse Demba, membre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD). « Nous devons aussi tout faire pour accéder aux postes de prise de décisions politiques dans notre pays ».
Les élections sont prévues dans le courant de cette année, mais beaucoup pensent qu’il y a peu de chances que ces délais soient respectés. Pourtant, le moment est venu, disent les femmes, et, agir à l’unisson est la seule manière de réussir leur pari.
Les membres de ce mouvement ont mis de côté leurs divergences politiques pour impliquer les hommes politiques dans leur combat politique et elles sont rejointes par les femmes issues de différents organisations et partis politiques ainsi que d’autres groupes.
« Je trouve que les femmes doivent être soudées avant tout, ceci parce que notre plus grand défi est de réaliser l’unité des femmes, » déplore Passy Mubalama, coordinatrice d’une ONG locale « Actions et Initiatives de développement pour la protection de la femme et de l’enfant » (AIDPROFEN).
D’après les estimations de l’International Rescue Committee les plus largement admises, les conflits armés et les crises humanitaires survenus en RDC entre 1998 et 2007 ont déjà fait plus de 5 millions de victimes.
Ce sont en effet les femmes qui paient le plus lourd tribut aux conflits dans la région. En neuf mois en 2014, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) a enregistré 11.769 cas de violence sexuelle et sexiste dans les cinq provinces de la RDC, y compris le Nord-Kivu. Parmi ces cas, près de 40 pour cent ont été considérés comme directement liés à la dynamique des conflits, perpétrés par des individus armés.
Toutefois, les femmes constituent souvent un obstacle à d’autres femmes qui veulent être élues à des fonctions publiques, déplore Mubalama.
« Souvent quand les femmes voient une autre femme poser sa candidature, elles se disent entre elles que celle-là ne peut pas passer et que si elle passe elle pourra se croire être au-dessus des autres, » regrette Pacy Mubalama.
Tout comme d’autres élections prévues dans tout le pays, les élections de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu sont prévues en novembre. Ces femmes disent qu’elles profiteront de ces élections pour changer leur rôle dans la sphère politique locale. Les assemblées provinciales contrôlent l’action du gouvernement local et les services publics, y compris la santé, le tourisme, l’habitat, les routes, l’éducation et les impôts.
Créé en mars 2015, le mouvement « Rien Sans Les Femmes » a présenté son mémorandum à M. Dieudonné Malhere Ma-Micho, maire de Goma, à l’occasion du 8 mars, Journée internationale de la femme. Ce mémorandum avait pour objectif de rappeler au maire que la RDC et la province du Nord-Kivu en particulier ont encore un long chemin à parcourir pour assurer la parité hommes/femmes dans les instances décisionnaires formelles.
«Je ne vous ai jamais laissées tomber, et dorénavant, je vais renforcer mon soutien en plaidant votre cause auprès d’autres politiciens qui occupent des postes importants dans notre gouvernement, » dit Ma-Micho à l’occasion de la présentation du mémorandum.
Après la rencontre du 8 mars, le maire a promis d’augmenter le nombre de femmes au sein de son équipe dirigeante, y compris dans des postes de chef des avenues, qui est en charge de la population, en notant ses besoins et en trouvant de solutions favorable.
La situation conflictuelle permanente est souvent liée à la crise politique en RDC. Les habitants en font souvent porter la responsabilité au manque de leadership au niveau de la gouvernance locale.
L’extrême pauvreté, la prestation inefficace des services publics et l’incapacité à maintenir l’état de droit sont toutes des questions pressantes auxquelles les habitants de l’est de la RDC sont confrontés. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, les intérêts géopolitiques aux niveaux mondial et régional sont à l’origine de l’insécurité. La violence actuelle est particulièrement due à l’accaparement des ressources naturelles.
Comme le montre le rapport de la Banque mondiale publié en 2012, 80 pour cent des ménages déclarent être incapables de pourvoir à leurs besoins essentiels. Les femmes gagnent, en moyenne, environ moitié moins que ce que gagnent les hommes.
Cette inégalité atteint les plus hauts niveaux en RDC. Selon une analyse de l’indice de parité hommes-femmes menée par International Alert et l’Observatoire de la Parité, l’assemblée provinciale du Nord-Kivu compte une seule femme. Seulement sept des 47 postes ministériels nationaux sont occupés par des femmes.
Pour atteindre cet objectif, la première étape doit consister à changer la perception du monde à l’égard des femmes congolaises.
« Aujourd’hui, quand on parle d’une femme congolaise, l’image qui vient à l’esprit des gens du monde entier est celle d’une femme qui a subi le viol, et nous voulons que ceci change, nous voulons être connues comme des femmes ayant apporté la paix dans leur pays, » glisse Audette Asha, membre du mouvement.
Malgré leur désir de jouer un rôle dans la vie publique, les femmes restent marginalisées par des politiciens, dit Asha.
D’autres femmes sont de cet avis.
« Nous sommes convaincues que la participation des femmes aux instances de prise de décisions contribuerait à la paix et au développement durable en RDC. Il est indispensable que les voix des femmes soient prises en considération et que leur participation soit effective,» dit Demba, membre du PPRD.
Demba envisage de se porter candidate aux élections de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu prévues en novembre. Son objectif et de lutter contre la corruption politique y compris le détournement de fonds publics.
« Au sein d’une plateforme dont j’étais membre, il y avait un membre qui occupait un poste important mais qui abusait de ses pouvoirs pour détourner des fonds destinés aux vulnérables, » dit-elle. « Ceci à éveillé en moi un esprit de révolte et j’ai voulu me présenter comme candidate aux élections des députés provinciaux pour amener un changement positif dans mon pays.»
On assiste aujourd’hui à l’augmentation du nombre de femmes candidates aux différentes fonctions, dit Demba.
Selon l’analyse de l’indice de parité hommes-femmes publiée en février par l’International Alert et l’Observatoire de la Parité, il y a à Goma 47 femmes candidates aux élections de l’assemblée provinciale du Nord –Kivu contre 198 candidats de sexe masculin. Et dans le Nord-Kivu, il y a 163 femmes candidates contre 1.410 hommes.
Pascal Mugaruka, un expert en leadership positif, affirme que le nombre de postes occupés par les femmes devrait être proportionnel au nombre de femmes dans la population.
« Les femmes doivent savoir qu’elles sont capables de faire beaucoup de choses et qu’elles ont un grand rôle à jouer dans les partis politiques pour influencer positivement l’avenir de notre pays, » ajoute Mugaruka.
Dobson Asumani, politologue qui a travaillé sur des campagnes, est de ce même avis.
«Les hommes pourront toujours exploiter les femmes pour leur intérêt personnel, les incitant à danser pour eux et à les accompagner sur leur voie vers le succès, tandis que les femmes ne resteront là que pour danser et chanter comme ce fut toujours le cas, » dit-il.
Mais certains habitants du quartier affirment qu’ils voient mal comment les femmes peuvent se présenter aux élections.
Candide Baraka, 42 ans, femme commerçante à Goma qui vend des chaussures et des vêtements, dit qu’elle ne peut voter pour une femme parce qu’elle croit que la politique n’est pas faite pour les femmes mais pour les hommes.
« Je n’ai jamais voté pour une femme et je ne le ferai jamais, » témoigne-t-elle. « Pour moi, le rôle de la femme est de prendre soin de sa famille et laisser la politique aux hommes.»
Pour Aimable Kazinguvu, 50 ans, enseignant, les femmes ne sont pas en mesure de faire bien de la politique.
« La politique n’est pas chose facile, ça demande beaucoup de réflexion et de courage. En tous cas, je ne peux voter pour une femme car je trouve que les femmes sont paresseuses et en plus elles parlent trop alors qu’un politicien doit être réservé,” dit-il.
Alors que les élections de novembre approchent, Rien Sans les Femmes travaille sans cesse pour insuffler aux femmes le goût de se soutenir mutuellement.
« Nous ne voulons plus être des accompagnatrices mais des meneurs,» explique Demba.
Traduit de l’anglais par Ndahayo Sylvestre, GPJ.