KANYABAYONGA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — Afisa Kanyere Kamate est assise devant sa petite maison de 16 mètres carrés entièrement en planches de bois enduites de goudron, et une seule pensée s’empare de son esprit: trouver de quoi nourrir ses six jeunes frères et sœurs. À 19 ans, elle assume seule leur prise en charge.
Pour les nourrir, elle a fait un choix difficile.
«La plupart des garçons me proposent 2.000 francs congolais pour un simple coup, et je demande 5.000 francs congolais par nuit», dit Kanyere.
Selon ses propres dires, elle peut empocher 5.000 à 10.000 francs congolais par semaine, ce qui lui permet d’acheter 10 kilos de farine de manioc, une bouteille d’huile de cuisine et des haricots.
Kanyere et ses frères et sœurs figurent parmi les quelque 1,5 millions de déplacés internes ayant fui leurs maisons en RDC. Pour beaucoup, ils sont originaires des régions en proie à des conflits dans les territoires de Lubero et de Rutshuru et viennent chercher refuge ici à Kanyabayonga, à plus ou moins 150 kilomètres au nord de Goma, capitale provinciale du Nord Kivu.
Kanyere et ses frères et sœurs ont fui leur village de Kibirizi dans le territoire de Rutshuru, à environ 143 kilomètres, après la mort de leur père dont le corps a été retrouvé décapité en septembre 2015.
Et comme un malheur ne vient jamais seul, sa mère a succombé au paludisme quelques mois plus tard, laissant derrière lui quatre jeunes frères et deux jeunes sœurs que la pauvre Kanyere ne doit nourrir qu’à la sueur de son front.
« Nous sommes sept enfants et vivons tous dans une chambrette mal entretenue », dit Kanyere. En cas de pluie, dit-elle, nous nous entassons dans un coin parce que la toiture a des fuites.
Kanyere se plaint de son sort et fait de son mieux pour mettre ses frères et sœurs à l’abri de son triste métier.
«Il n’y a rien de plus gênant que de se prostituer à la maison en présence de mes jeunes frères et sœurs», dit-elle. «Ils m’entourent à tout moment. Je me glisse furtivement pour faire le sexe s’il arrive qu’un homme veuille coucher avec moi. Pour des rendez-vous nocturnes, je dois attendre que mes frères et sœurs soient plongés dans un sommeil profond».
Kanyere affirme que les hommes ne veulent pas l’épouser de peur d’assumer la responsabilité de la prise en charge de ses jeunes frères et sœurs.
«J’ai le sentiment que ma vie est foutue. Pire encore, je suis vivante mais morte à l’intérieur. Entre moi et les morts, il n’y a pas de différence», se plaint-elle.
Environ 1,5 million de personnes, comme Kanyere et ses frères et sœurs, qui sont déplacés en RDC figurent parmi les personnes déplacées dans leurs propres pays à travers le monde et, selon José Barahona, directeur pas d’Oxfam en RDC, dont le nombre s’élève à quelque 38 millions.
Selon une enquête menée par la Howard University School of Social Work, les femmes et les enfants représentent environ 80% de la population réfugiée et restent à la merci de la violence pendant les migrations et les déplacements surtout dans les parties du monde où les structures sociales sont désintégrées à la suite des guerres.
Et la RDC qui a connu 20 ans de conflits successifs ne peut faire l’exception.
Maurice Muyayalo Kisolu, commandant chargé de la protection de l’enfant et de la lutte contre les violences sexuelles au poste de police de Kirumba, affirme que Kanyere n’est pas la seule jeune fille contrainte de monnayer son corps pour survivre. Kisolu estime que face à l’insuffisance de l’aide humanitaire, près de 70% des filles déplacées vivant dans la cité de Kirumba dans la province du Nord Kivu se trouvent obligées de faire ce triste choix.
Il ajoute que son unité a été créée spécifiquement en vue de la défense des femmes et des enfants car ce sont toujours eux qui paient le plus lourd tribut aux conflits et aux guerres. « Les déplacées de guerre doivent jouir de tous les droits fondamentaux. Ainsi, ils ont le droit à la vie, à la protection, à la sécurité, à l’assistance, à l’asile [en fuyant d’un pays à l’autre], au logement et au réconfort », dit-il.
Vaghen Masika, 24 ans, habitante de Kanyabayonga, dit que les filles déplacées, et en particulier celles ayant perdu leurs parents, vivent dans des conditions déplorables.
« Elles doivent ainsi se débrouiller par elles-mêmes de différentes manières pour survivre », martèle-t-elle.
Elle révèle que l’une de ses voisines a dû avoir recours au commerce du sexe pour trouver de quoi manger et qu’elle a même forcé ses progénitures à devenir la proie de ce plus vieux métier du monde. Mais, quoi qu’il en soit, dit-elle, « il ne suffit pas pour survivre».
Kahindo Sikuli, jeune fille déplacée, dit que certaines filles font ce triste choix par manque d’occupation: «Nous passons des journées à errer dans les camps. Certaines d’entre nous avaient des emplois leur permettant de couvrir leurs besoins. Mais ici, les gens sont empêtrés dans le chômage, et le seul choix qui nous reste alors est celui de recourir au banditisme et à la prostitution», s’insurge-t-elle.
Kahindo Mwandu, animatrice de Mumaluk (Muungano wa WAMAMA wa Lubero ya Kusini), une association de femmes congolaises œuvrant à la défense des femmes et des filles, demande aux organisations humanitaires de donner aux filles déplacées les moyens d’apprentissage des métiers élémentaires tels que le tissage, le tressage et le tricotage pour leur donner la chance de se tirer des griffes du commerce sexuel. Aujourd’hui, on assiste à l’absence de ce genre de services dans les camps de déplacés, dit-elle.
«Il importe de mettre en place des maisons d’écoute où les filles déplacées peuvent obtenir de l’aide pour leurs problèmes, faire part de leurs défis et être écoutées en vue d’une solution », déclare Mwandu.
Il n’y a qu’une seule chose que Kanyere veut : retourner chez elle et trouver assez de nourriture pour ses frères et sœurs.
« J’en appelle au gouvernement de rétablir la paix dans les territoires de Rutshuru et de Lubero pour que nous puissions retourner chez nous et cultiver nos champs », dit-elle.
Traduit de l’anglais par Ndayaho Sylvestre, GPJ.