KIRUMBA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO —Les cris de tristesse envahissante propre au deuil s’entendent à travers toute cette petite communauté rurale.
Certains membres de la communauté sont assis à même le sol, pleurant la perte d’un être cher dont le corps inerte vient d’être retrouvé. D’autres restent debout, réunis en petits groupes, narrant des récits de l’histoire de vie d’un membre de famille dont la vie vient d’être fauchée ou se racontant des circonstances de la mort de leur être cher.
Mais certains préfèrent rester aussi affairés qu’une abeille, faisant la cuisson, broyant les graines dans un mortier avec un pilon, cherchant de l’eau – bref, faisant tout sauf rien pour soutenir les familles du défunt.
Cette fois, le deuil est venu frapper la femme d’Ezekia Walumbirene et ses huit enfants. À peine la cinquantaine entamée, ce mari et père au foyer a été enlevé un certain soir de juin dans sa boutique du coin à Kikuvo, à 10 kilomètres de Kirumba. Peu de temps après, il a été trouvé mort, pieds et mains liés.
Lorsqu’une personne meurt, la communauté se rassemble par l’intermédiaire d’une association appelée Silwamughuma, un mot d’origine Nande qui signifie «la mort n’est pas pour une seule personne. » Cette association compte plus de 1.500 membres et a vu le jour pour combler le désir des membres de la communauté de se soutenir les uns les autres comme membres d’une même famille face à la perte d’êtres chers qui ne cesse d’éprouver plusieurs familles.
Le soutien du groupe aux familles prend les formes les plus diverses.
«Quand mon beau-frère a disparu, les hommes du quartier se sont mobilisés pour le rechercher,» raconte le beau-frère de Walumbirene, Jean Baptiste Mbakaniaki, 32 ans, taxi-motard à Kirumba. « Quand son corps a été retrouvé, les membres de la communauté sont venus en aide à notre famille pour son enterrement et nous ont offert toute l’aide nécessaire. »
Silwamughuma a été fondée il y a un an, confie Kalwahali Mulwana, secrétaire permanent du groupe. En cas de deuil, le groupe fournit à la famille du bois de chauffage, des cossettes de manioc et des patates douces. Chacun des membres du groupe cotise une somme de 200 francs congolais chaque fois qu’il y a des obsèques, ajoute-t-il.
«Comme le nom de notre association l’indique, la mort n’est pas pour une seule personne,» dit-il. «Aujourd’hui, c’est peut-être mon tour, et demain, ça pourrait être ton tour. »
Depuis sa création, le groupe a pu venir en aide à plus de 40 familles, dit-il.
Le chaos s’est emparé du sud du territoire de Lubero et est devenu le quotidien des habitants ici. Les meurtres, les enlèvements et les agressions sexuelles sont monnaie courante. Et le chaos est la source à laquelle s’abreuve la pauvreté. L’agriculture est la principale activité ici, mais les habitants ont peur d’être enlevés dans leurs champs.
Innocent Kipura, commandant second de la Police nationale à Kirumba, déclare que la violence a connu une escalade ces derniers jours à cause de la présence permanente des groupes armés et du chômage qui pousse beaucoup de gens vers la criminalité.
«Aujourd’hui, nous assistons à la hausse de la criminalité, en particulier les meurtres et les enlèvements», dit-il. «La pauvreté et le chômage sont les causes de l’insécurité».
Dans la cité de Kirumba, communauté avec une population d’environ 35.000 habitants, il n’y a pas un seul mois qui passe sans qu’environ quatre personnes ne soient tuées, dit Kipura.
«Nous fournissons des services de sécurité», dit Kipura. « Nous déployons beaucoup d’efforts pour éradiquer ce fléau, mais nous demandons à la population de collaborer avec nous en nous donnant des informations nous permettant d’arrêter les criminels à temps.»
Silwamughuma peut, elle aussi, aider à cela. Les habitants disent que le groupe a suscité entre elles les débats sur la violence – un sujet dont ils ne parlent pas souvent.
«Pour ce qui est de l’insécurité, nous n’en parlons plus,» s’exclame Muhindo Mwira, 39 ans. «Je me demande si c’est la fin du monde ou pas! »
Mwira nourrit l’espoir de voir les conversations aider les gens à créer des initiatives pour arrêter la violence dont il a souffert comme la plupart des gens ici.
Il dit que son voisin, un agriculteur, campait dans ses champs quand il a été enlevé. Un groupe d’hommes de Silwamughuma sont partis à sa recherche.
« Son squelette a été retrouvé après trois mois, » dit Mwira. « Nous avons pu identifier son corps grâce à ses vêtements qui gisaient à côté du squelette. »
Cet agriculteur est mort à l’âge de 60 ans, dit Mwira.
« Je remercie Silwamughuma car c’est grâce à elle que nous avons réussi à supporter le deuil de mon ami le plus cher et à retrouver son squelette, » dit Mwira.
Les gens doivent s’unir s’ils veulent faire face à la perte constante de leurs êtres chers, dit Jeannine Mutangi, infirmière de 30 ans qui est membre de Silwamughuma.
« Le 13 août 2016, Baide Kakolele a été retrouvée découpé en plusieurs morceaux et certaines parties de son corps étaient calcinées dans le sud de Lubero, » raconte-t-elle. « Il était père de 3 enfants. On n’a enterré que des os.»
Mutangi connaissait Baide Kakolele avant sa mort. L’association Silwamughuma a donné de l’argent à la femme de Kakolele pour commencer un petit business.
Kavira Karasisi, agriculteur, dit qu’il a adhéré à Silwamughuma pour aider les familles en deuil à trouver de la nourriture. Il a fourni aux familles des haricots, du bois de chauffage, du manioc, des patates douces, des céréales, du maïs, du savon, des oignons, de l’huile de cuisson, des vêtements et du charbon de bois.
«Je considère cette initiative d’entraide mutuelle comme une union et une solidarité entre les habitants en ces moments difficiles», dit-il.
Pour Evariste Kavula, commerçant local, adhérer à Silwamughuma a été une décision facile à prendre.
La mort s’invite plus fréquemment ici, dit Kavula.
« Quand on se couche, on ne se réveille vivant que par la seule grâce divine, » dit-il.
Son oncle a été tué par une personne qui en voulait à l’argent qu’il avait gagné après la vente d’une parcelle, Kavula dit.
« L’association a vite fait de voler au secours de la famille endeuillée, » dit-il. «Lors de son enterrement, presque tous les membres du village étaient présents. »