KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : À l’âge de 13 ans, Jennifa a vu un homme venir lui dire « je t’aime ». Avec lui, elle a un fils de deux ans, mais ce n’est que par quelques détails qu’elle se souvient de ce géniteur de son fils. L’homme, du nom de Mamadou, était un éleveur mbororo originaire du Soudan.
Se croisant l’un l’autre, Mamadou a fait une promesse : assurer à Jennifa une vie meilleure que celle que sa mère, vendeuse de viande de vache, et de son père, agriculteur, pouvaient s’offrir. L’offre, elle, était trop alléchante pour la laisser passer. Devenue enceinte, quatre mois plus tard, elle a dû rompre avec le chemin de l’école. Peu de temps après, ils ont convolé en justes noces. Et trois mois après la naissance de leur enfant, Mamadou est parti, la laissant avec un enfant dont elle ne pouvait se permettre d’assumer la charge.
« Il m’a dit qu’il allait d’abord rentrer au Soudan, et je suis retournée chez mes parents. Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis qu’il a quitté », confie Jennifa, aujourd’hui âgée de 15 ans, qui a demandé de ne révéler que son prénom par crainte d’être stigmatisée.
Si l’on en croit les autorités et les populations locales qui se sont confiées à Global Press Journal, cela devient ce destin commun auquel n’échappent pas les filles de moins de 18 ans dans la ville de Kisangani, dans le nord-est de la RD Congo. Souvent, c’est par la promesse d’une vie économique meilleure que tout commence, et puis arrivent grossesses et mariages précoces.
Elles pointent du doigt ces éleveurs mbororo, une communauté nomade et indigène de divers pays africains, qui – depuis des siècles–, immigrent de manière périodique dans le nord-est de la RD Congo en quête de pâturages pour leur bétail.
Par le passé, leur présence a été à l’origine de tensions et de préjugés négatifs parmi les populations locales, dont la majorité sont des agriculteurs. Ces populations locales accusent ces éleveurs mbororo de s’emparer des terres et de détruire des cultures et des sources d’eau, lit-on dans un rapport de Conciliation Resources, une organisation indépendante basée à Londres. Aussi ces éleveurs ont-ils été sous le feu des critiques pour, semble-t-il, infiltrer un marché local de la viande en pleine expansion et vendre leur viande à des prix bradés.
L’exploitation de jeunes filles mineures est le dernier des motifs de tension.
Le traumatisme du viol parti, l’espoir d’une nouvelle vie se dégage
CLIQUEZ POUR LIREConfirmant l’augmentation des cas d’exploitation sexuelle, Antoine Musibasiba, – chef de secteur de Lubuya Bera –, ajoute que la participation des éleveurs mbororo au marché de la viande a été synonyme d’une plus grande interaction avec les communautés locales, qui les ont toujours entourés de suspicions. Selon lui, cela a contribué à l’augmentation des cas d’exploitation.
Mustapha Hamadi, un éleveur mbororo ayant migré du Soudan et vivant à Kisangani depuis 2016, croit qu’il s’agit, au contraire, d’une question de perception et de différences culturelles. Les Mbororo, s’insurge-t-il, ont toujours été perçus de manière négative par les communautés locales.
Selon ce jeune homme de 25 ans, il n’est pas rare de voir les éleveurs s’intéresser aux filles locales, car nombre d’entre eux laissent leurs femmes dans leur pays d’origine, tandis que d’autres arrivent en RD Congo étant célibataires.
Mais il s’insurge contre ces éleveurs qui font le choix de déguerpir, laissant des filles se débrouiller seules et s’occuper des enfants. « Cela me fait trop mal quand nous apprenons qu’ils mettent des filles enceintes et partent », fait-il savoir.
En RD Congo, pays où le conflit demeure toujours une réalité dans ses régions de l’est, les abus et les violences à l’égard des enfants demeurent un phénomène répandu, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). L’exploitation sexuelle, elle aussi, y est monnaie courante. Selon l’Unicef, il a – entre janvier et juin 2020 –, aidé 2 018 enfants en RD Congo qui avaient été victimes d’exploitation sexuelle. Parmi eux, figuraient 1 999 filles, selon le département d’État américain.
Dans ce pays, le taux de pauvreté qui –selon les données du Fonds monétaire international – s’établit à près de 80 %, n’a fait que rendre les femmes plus vulnérables face aux violences et à l’exploitation sexuelles.
À Kisangani, les autorités sont conscientes de l’exploitation accrue de jeunes filles par des éleveurs mbororo, mais l’engagement de poursuites n’est pas sans difficultés, car il est rare de voir les parents signaler ce genre d’incidents, déplore Motema Likolo Michel, secrétaire au commissariat de la police à Batiamaduka, une banlieue de Kisangani.
Souvent, les parents trouvent un arrangement à l’amiable avec des bourreaux. Le même sort a été réservé à Jennifa qui affirme que ses parents ont, en apprenant qu’elle était enceinte, menacé de dénoncer Mamadou à la police, ce qui a déclenché une négociation. En guise d’excuses, Mamadou leur a offert une chèvre et une somme d’argent tenue secrète. Il a même promis d’épouser Jennifa, et ses parents ont cédé. Personne n’a demandé à Jennifa si elle voulait épouser Mamadou.
Le sort subi par Jennifa fait écho à celui de Sidoni, qui a également demandé de ne révéler que son prénom. L’éleveur mbororo qui l’avait mise enceinte a, en guise d’excuses, offert à ses parents une chèvre et du fric, ce qu’ils ont accepté. Par crainte d’être stigmatisée, elle l’a épousé.
« Aujourd’hui, il est rentré chez eux et m’a laissée avec l’enfant. Je ne sais comment évoluer dans la vie », se désole Sidoni, 16 ans.
La loi de la RD Congo interdit de se marier ou d’avoir des relations sexuelles avec des enfants, garçons et filles, de moins de 18 ans. Les parents qui forcent leurs enfants à se marier peuvent être condamnés à 12 ans de travaux forcés et à une amende.
Malgré cela, les mariages d’enfants sont encore choses courantes, car certains parents marient leurs filles mineures pour les mettre à l’abri de la stigmatisation qui s’attache au célibat et à la grossesse, selon un rapport de Médecins sans Frontières (MSF).
Chute et retard : sécurité et éducation des filles mises en péril à cause du manque d’eau
CLIQUEZ POUR LIRELe mode de vie nomade des éleveurs mbororo rend également difficile les poursuites judiciaires. César Luna aurait aimé signaler l’exploitation sexuelle de ses filles, âgées de 15 et 17 ans. Mais lorsqu’elle l’a découvert, les éleveurs responsables étaient déjà rentrés dans leur pays, laissant ses filles déscolarisées et avec des enfants à charge.
« Aujourd’hui, je ne sais comment prendre en charge elles [ses filles] ou de mes petits-fils. Je n’ai pas un travail payant », s’alarme Luna.
L’exploitation sexuelle des filles mineures affecte déjà leur taux de rétention scolaire dans la région, explique Mashamba Okoto, directeur de l’école de Batiamaduka. Au début de l’année 2021, « un total de 486 filles étaient inscrites [à l’école de Batiamaduka], mais en juin, ce nombre était tombé à 208, car de nombreuses filles avaient été mises enceintes ou s’étaient mariées », explique Okoto.
Aucune loi ne régit la migration des Mbororo dans la province de la Tshopo, dont Kisangani est le chef-lieu, affirme Jean Pierre Litema, ministre provincial intérimaire de l’Intérieur et de la Sécurité. Beaucoup arrivent pour vendre et faire paître leur bétail. Il avoue que les autorités ont du mal à poursuivre les auteurs de ces actes lorsque les parents ne les signalent pas, mais il affirme que l’on est en train de chercher une meilleure solution.
Le nombre exact de Mbororo vivant dans la région est inconnu, car ils sont des sans-papiers, explique Roger Bangwale, secrétaire administratif de Lubuya Bera. « Ils viennent et partent quand ils veulent, quand ils n’ont plus besoin d’être ici, sans respecter aucune norme », dit Bangwale.
Entre-temps, Hamadi, l’éleveur mbororo, exhorte les filles qui ont été abandonnées avec des enfants à garder espoir et à attendre. « Peut-être qu’ils reviendront ici », déclare-t-il.
Mais Sidonia a des responsabilités qui ne peuvent pas attendre. Pour gagner de l’argent, la jeune mère vend du manioc grillé au bord de la route, près de la maison de ses parents. Elle nourrit l’espoir de retourner à l’école lorsque son fils d’un an aura grandi.
Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Ndahayo Sylvestre, GPJ.