GOMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO — À l’hôpital, elles sont bloquées derrière le portail d’entrée, ces mamans tenant dans leurs bras leurs bébés. Cela fait des mois qu’elles sont là. Avec des yeux rongés d’inquiétude, elles fixent leurs regards sur tout passant portant un sac ou un colis, espérant qu’un bon Samaritain leur apporte quelque chose à mettre sous la dent.
Ces mamans et leurs bébés ont été bloqués à l’hôpital depuis leur accouchement. Et pour cause, elles n’ont pas pu régler leurs factures d’accouchement. L’hôpital ne peut les libérer que lorsqu’elles parviennent à régler la note.
«Je n’ai aucun sou sur moi», explique Rachel Mufungizi, cette maman de quatre enfants et âgée de 35 ans, qui, avec son bébé, Esther, est — selon ses propres dires — «prise en otage» à l’hôpital provincial du Nord-Kivu. Cela fait déjà près de sept mois qu’elle est là. L’hôpital exige d’elle le paiement de 150$ avant d’être libérée.
À l’instar d’autres mères condamnées à subir ce même sort, Mufungizi affirme que son espoir de régler la note se rétrécit comme une peau de chagrin. Son mari est sans le sou et est pris dans les griffes du chômage, dit-elle.
«Tout ce qu’il parvient à gagner sert à nourrir nos autres enfants restés à la maison», dit-elle.
Bloquer des femmes dans les hôpitaux après accouchement est devenu monnaie courante à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC. Les mamans accouchant par césarienne ou celles dont les bébés sont admis dans l’unité de soins intensifs néonatals restent les plus vulnérables, car leurs factures sont les plus élevées.
Certaines femmes enceintes nourrissant la crainte d’être bloquées à l’hôpital privilégient les sages-femmes pour leur accouchement malgré le risque d’infections ou d’autres complications liées à l’accouchement.
Le docteur José Kayumba, médecin au service de gynéco-obstétrique de l’hôpital provincial du Nord-Kivu, déclare que l’hôpital courrait à la faillite si elle laisserait des femmes partir sans honorer leurs factures plus élevées car l’établissement ne reçoit aucune aide du gouvernement.
«L’hôpital ne compte que sur les factures médicales pour payer des primes au personnel, acquérir des fournitures médicales et couvrir ses frais de fonctionnement», confie-t-il. «Cela laisse l’hôpital dans une situation économique vulnérable, car il n’a d’autre choix que d’être financé par ses patients qui, le plus souvent, ne sont que des démunis ».
Kayumba affirme qu’une femme sur 10 est bloquée à l’hôpital après accouchement. Le coût moyen d’un accouchement normal à l’hôpital provincial du Nord-Kivu varie entre 30$ et 40$. Les femmes défavorisées accouchant par voie basse sont libérées même en cas d’incapacité à payer leur facture, car celle-ci est facilement réglée par l’hôpital, révèle-t-il. Par contre, pour celles qui accouchent par césarienne ou sont victimes des complications post-partum, la facture peut souvent dépasser 150$.
L’hôpital est en cours de finalisation d’un projet d’appui avec l’Union européenne et, si tout va bien, ce projet pourra démarrer cette année. «Si ce projet est mis en œuvre, nous pourrons résoudre de nombreux problèmes de ce genre et accorder de l’aide aux patients indigents, en particulier aux femmes défavorisées victimes des complications liées à l’accouchement», déclare Kayumba.
Entre-temps, trois mois se sont écoulés depuis que Marceline Bujiriri a été bloquée à l’hôpital en raison de son incapacité financière à payer ses factures médicales. Elle a accouché par césarienne. De retour à la maison, le processus de cicatrisation s’est compliqué, l’obligeant ainsi à retourner à l’hôpital pour se faire soigner.
Elle a dû subir quatre opérations chirurgicales. Et la facture s’élève à 400$, un montant jugé exorbitant dans un pays où 59% de la population vit avec moins de 1,25$ par jour.
«Mon mari a dépensé toutes ses économies sur moi », dit-elle. Son mari passe toute la journée en train de chercher de l’argent, ajoute-t-elle. La nuit tombée, il vient également à l’hôpital pour rejoindre sa femme, confiant leurs deux autres enfants à des voisins.
«J’ai su faire la salle commune de l’hôpital du demeure de ma famille. Nous vivons désormais à l’hôpital, et l’hôpital sert de notre chambre familiale », dit-elle.
Glorieuse Kambi, étudiante de 22 ans, a accouché de jumeaux. Comme beaucoup d’autres jumeaux, l’un de ses jumeaux est né prématurément, exigeant ainsi des soins intensifs étant placé en incubateur néonatal. Après deux semaines, le bébé est mort, et Kambi s’est retrouvée avec une facture de 600$. Après un autre mois de soins au jumeau survivant, sa facture s’est élevée à 2 024$.
Le père de mes enfants a pu payer 700$ – et c’est tout ce qu’il pouvait, dit-elle.
«Je me trouve dans une situation à laquelle je ne peux me soustraire que par le miracle divin», ajoute-t-elle.
Alors que l’hôpital provincial du Nord-Kivu travaille aujourd’hui sur un projet de financement avec l’UE, Bernadette Sivya Kavira, 23 ans, habitante de la banlieue de Katoma II de Goma, a décidé de parer aux grosses dépenses en recourant à une sage-femme du quartier plutôt que d’accoucher à l’hôpital. Elle a voulu éviter le risque d’être détenue là-bas par manque d’argent.
Pour payer une sage-femme, dit-elle «il suffit de prévoir 10 lames de rasoir neuves, une douzaine de serviettes hygiéniques et réserver un bidon de kasiksi», boisson alcoolisée artisanale issue de la fermentation du jus de bananes.
«Plus tard nous pouvons offrir à la sage-femme un cadeau de pagne d’une valeur de 7$, et on aura accouché sans aucun problème», se réjouit Kavira. «De cette façon, l’accouchement coûte 10$ au total».
Mariam Aboubakar Esperance, journaliste de GPJ, a traduit certaines interviews du swahili vers le français.
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndayaho Sylvestre, GPJ.