TSHOPO, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Marie Bolisawu est assise sur son lit d’hôpital, attendant de recevoir des soins. Elle espérait qu’on lui diagnostiquerait un paludisme, mais le laboratoire a plutôt dépisté une typhoïde. Bolisawu, âgée de 27 ans, n’a cependant pas confiance en ces résultats. C’est d’abord vers un laboratoire privé bien équipé et disposant d’un personnel médical qualifié qu’elle a, dit-elle, été orientée, mais les prestations étaient hors de prix. Aussi s’est-elle tournée vers un petit laboratoire de deux employés où, malgré tout, elle ne pourrait qu’à peine s’acquitter des charges. Elle a déboursé 60 dollars américains pour un diagnostic qu’elle révoque en doute.
« Je n’avais pas le choix, comme je comptais beaucoup pour ma guérison, » déclare-t-elle. « Je ressentais une telle douleur à la tête que j’étais obligée de passer ces examens. »
Soixante pour cent de laboratoires médicaux privés de la province emploient de manière illégale du personnel non qualifié, lequel délivre des tests inexacts ; de mauvais diagnostics sont dès lors posés, et les patients reçoivent des traitements inadéquats, ce qui entraine de graves conséquences sur la santé, déplore Jérôme Bolima de l’inspection Provinciale de la Santé de la Tshopo. Son service fait partie de la Division Provinciale de la Santé de la Tshopo dont l’une des responsabilités consiste à coordonner les affaires sanitaires et environnementales dans la ville de Kisangani et la province de la Tshopo. Selon leurs analyses, 65 % des malades testés dans des laboratoires privés ont reçu un diagnostic erroné entre 2020 et 2023.
« C’est un sérieux problème. Un diagnostic non approprié ne peut jamais aboutir à une bonne prise en charge, ce qui peut avoir des conséquences nuisibles comme la mort des patients dans les jours à venir, » regrette Francis Baelongandi, chef de Division Provinciale de Santé de la Tshopo.
Global Press Journal a essayé de contacter neuf propriétaires et gestionnaires de ces laboratoires médicaux privés informels ayant une mauvaise réputation en matière de diagnostics. Cinq ont refusé de discuter avec une journaliste et quatre ont nié les accusations mettant en cause la fiabilité de leurs résultats, l’un d’eux pointant d’un doigt accusateur des concurrents qui essaieraient ainsi de déstabiliser leur activité.
Il existe plus de 90 hôpitaux et centres de santé publics et privés à Kisangani, révèle Bolima. Deux seulement, les principaux hôpitaux publics, disposent de laboratoires, mais les coûts sont pharaoniques pour de nombreux patients. Ce chiffre n’inclut pas les installations médicales qui exercent illégalement, car n’ayant pas été enregistrées auprès de l’inspection.
La demande en laboratoires et en centres médicaux a flambé, la population de Kisangani ayant plus que doublé entre 2000 et 2022, passant de 586 000 à 1 366 000 habitants, selon le bureau provincial des statistiques. (Depuis lors, la population de Kisangani a chuté à 853 616, en partie à cause de l’exode, mais d’autre part parce que les critères du recensement des populations ont récemment été redéfinis.)
Pour combler ce vide, offrir des options économiques et diagnostiquer des maladies chez les patients, l’on a assisté vers 2009 à une émergence de laboratoires médicaux privés à travers la ville. Depuis 2020 cependant, les laboratoires, souvent non enregistrés, ont connu une croissance exponentielle.
En 2009, l’on comptait uniquement trois laboratoires privés à Kisangani, confie Bolima. Tous répondaient aux normes et étaient homologués. En 2021, il y en avait au moins 16, parmi lesquels cinq seulement détenaient un enregistrement. Depuis février, l’on compte plus de 40 laboratoires privés dont 16 uniquement sont officiellement reconnus.
« Ouvrir un laboratoire médical est devenu un commerce pour tout le monde », constate Bolima
Les propriétaires de laboratoires privés n’ont pas l’obligation de suivre une formation médicale, mais leur personnel devrait détenir des diplômes dans le domaine des sciences de laboratoire médical, explique Bolima. De nombreux laboratoires ne remplissent pas cette condition.
Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus, une organisation des droits humains, dit que c’est la faute du gouvernement si des laboratoires privés privilégient la recherche du gain à la santé des patients et aux exigences légales. Il suffit que la personne responsable du laboratoire soudoie les autorités et son laboratoire peut fonctionner sans le moindre contrôle, se désole-t-il.
« Comment se fait-il que dans une province ou une ville où l’on dispose d’une inspection provinciale de la santé et d’une division provinciale de la santé, des laboratoires privés embauchent comme laborantin(e)s des personnes non qualifiées, mais exercent en toute quiétude sans être poursuivis par la loi », s’interroge Kitenge.
L’inspection de Bolima est censée piloter la réglementation des laboratoires, mais son autorité se trouve bafouée, dit-il. Les gestionnaires de laboratoires font appel aux autorités supérieures et reçoivent de celles-ci la permission d’ouvrir et d’exercer. Le gouvernement local n’a aucune emprise sur les laboratoires privés, maugrée Bolima.
En décembre, Olga Akaya, 26 ans, souffrait de douleurs gastriques et son gynécologue l’a dirigée vers un laboratoire privé où on lui a diagnostiqué une maladie utérine. Toutefois, ses douleurs s’intensifiaient et en mars elle a subi d’urgence une opération chirurgicale des trompes de Fallope. Mais le diagnostic était incorrect. Plus jamais elle ne remettra les pieds au laboratoire.
Jean Taji, gynécologue, mais pas celui qui s’est occupé d’Akaya, confie que la plupart des femmes qu’il a orientées vers des laboratoires privés pour des tests de diagnostic ont ultérieurement souffert de complications après avoir reçu des soins basés sur des résultats de laboratoire inexacts.
« J’ai dû faire une intervention chirurgicale rapide de l’une de mes patientes suite au résultat donné par un laboratoire privé qui a commis une erreur, » admet Taji. « Un mauvais diagnostic peut entrainer un traitement incorrect et des conséquences néfastes, surtout pour des spécialistes. »
Il a constaté que non seulement les laboratoires ont un personnel incompétent, mais qu’ils exercent en plus sans équipement approprié, n’ayant pour unique intérêt que le gain, soupire-t-il. Désormais, il accompagne ses patients au laboratoire pour s’assurer qu’ils subissent les bons tests et obtiennent des résultats fiables.
Ruth Maboli, technicienne de laboratoire âgée de 28 ans, et titulaire d’un diplôme en science de laboratoire médical, a travaillé pendant quatre années pour un laboratoire privé dont elle souhaite, pour des raisons de confidentialité, taire le nom ; elle souligne que les laboratoires ont besoin de techniciens qualifiés pour préserver leurs réputations.
Emmanuel Azimali, 57 ans, a ouvert son laboratoire privé en 2018 en raison de la pénurie observée dans le secteur. Il dit n’avoir jamais reçu de plaintes.
« Mon laboratoire devait satisfaire aux critères d’éligibilité fixés par les autorités, notamment le recrutement de laborantin(e)s qualifié(e)s, l’usage d’installations appropriées, mais aussi d’équipements adéquats, lesquels constituent des éléments capitaux pour établir des tests de diagnostics précis », déclare Azimali, qui n’exerce pas malgré sa formation de médecin de soins primaires.
Azimali dit que le gouvernement devrait procéder à la fermeture de tous les laboratoires qui ne respectent pas les normes.
Martine Balongo, âgée de 29 ans et titulaire d’un diplôme en science de laboratoire médical, soutient que ces laboratoires privés devraient être fermés, mais qu’ils servent un objectif.
Elle travaille dans un petit laboratoire au sein d’un centre de santé Catholique, et elle déclare que c’est honnête. Même si elle ne dispose pas de tous les équipements dont elle aurait besoin, elle est capable de faire convenablement son travail. Des laboratoires de cette nature contribuent à combler les lacunes du secteur, affirme-t-elle, et c’est pour elle une fierté de s’y investir.
« Ça fait du bien quand un patient est bien examiné, et a reçu un bon traitement pour sa maladie, » confie Balongo. « Un bon traitement provient d’un bon diagnostic. »
Françoise Mbuyi Mutombo est journaliste à Global Press Journal en poste à Kisangani, en République démocratique du Congo.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Kouethel Tekam Néhémie Rufus, GPJ.