MANICHE, HAITI — Depuis plus de 20 ans, Cedeniese Lexima, une mère célibataire, pourvoit à ses besoins et à ceux de ses quatre enfants en achetant des produits aux agriculteurs locaux pour les revendre dans la ville des Cayes, dans le sud-ouest. Elle fait partie des centaines de femmes haïtiennes connues sous le nom de Madan Sara, qui constituent un maillon essentiel de la chaîne d’approvisionnement alimentaire du pays.
Les Madan Sara du nom d’un oiseau migrateur adepte de la recherche de nourriture, travaillent ensemble et comptent sur les transports en commun pour transporter les produits locaux entre les communautés.
« Je ne suis pas membre d’aucune organisation de Madan Sara, » explique Lexima. « On est des oubliées, mais on fait de notre mieux pour nous aider les unes les autres. On ne se déplace jamais seules mais en groupe. » Lexima dit que la mairie ne leur accorde pas le même soutien, comme l’assurance maladie, qu’on accorde aux autres travailleurs.
Passant chaque semaine plusieurs jours loin de sa maison à Maniche pour se rendre dans les marchés, les hôtels et les restaurants pour vendre des produits frais, Lexima fournit un service vital aux planteurs en recueillant et en vendant leurs produits et en permettant ainsi aux communautés urbaines d’accéder aux denrées cultivées localement. Mais ce mode de vie est menacé tandis que le pays fait face aux catastrophes naturelles, à une pénurie de carburant et aux barricades routières, empêchant à ces femmes de gagner leur vie.
De plus, la communauté agricole, sur laquelle comptent les Madan Sara peinent toujours à rétablir la production après un tremblement de terre de magnitude 7,2 dans la matinée du 14 août 2021.
« Tout le monde autour de moi courrait et hurlait, ‘Jezi sovem’ [sauves-nous Jesus’], » raconte cette veuve de 50 ans. « Au loin c’était devenu blanc à cause de la poussière, et Maniche était à terre. »
La petite commune montagneuse de Maniche a été l’une des plus durement touchées par le tremblement de terre, qui a détruit presque toutes les maisons et a eu un impact dévastateur sur le secteur agricole. Des tempêtes et des inondations ont suivi le tremblement de terre de 2021, obligeant de nombreux agriculteurs à recommencer à zéro. Avec moins de produits disponibles, il est encore plus vital que les Madan Sara puissent vendre les produits qu’elles peuvent trouver.
Les marchés les plus lucratifs pour vendre des produits se trouvent à Port-au-Prince, la capitale du pays, mais pour y arriver à partir de Maniche, il faut traverser Martissant, un quartier désormais bloqué par des barricades routières et des gangs qui exigent un paiement pour laisser passer les gens.
Ceux qui tentent le voyage découvrent bientôt que cela ne vaut pas le risque.
« La première fois que j’ai pris le risque de traverser Martissant, on était plusieurs dans une camionnette, » dit Didine Durand, une Madan Sara. « Des bandits armés jusqu’au dent ont arrêté la camionnette, le chauffeur a payé et ils nous ont laissés passer. J’ai payé pour ne pas mourir. Après ce voyage je ne cours plus ce risque, je fais le commerce uniquement entre Maniche et les Cayes. C’est moins rentable mais au moins je suis en sécurité, » se référant à la ville portuaire du sud, à une heure de route au sud de Maniche, où elle doit vendre ses produits à un prix inférieur.
Plus d’un tiers de la population étant confrontée à la faim aiguë, donc l’accès à la nourriture est vital. Les agriculteurs comptent sur ces femmes pour transporter leurs marchandises au marché. L’économie locale de Maniche dépend principalement de l’agriculture. Les petits agriculteurs cultivent des denrées sur leurs parcelles de jardin pour eux-mêmes et pour vendre au marché. Le tremblement de terre a enseveli de nombreuses fermes et jardins et endommagé les systèmes d’irrigation à Desrodières et Dory, deux communes de Maniche comptant un grand nombre de producteurs de riz, et de pois noirs. Ils disent qu’ils n’ont pas reçu l’aide dont ils avaient besoin pour se remettre sur pied.
Jean Calèbre Rebecca, un planteur de Maniche et coordinateur de l’Organisation pour la Promotion des Agriculteurs Généresse/Maniche, un groupe de défense qui travaille avec environ 400 agriculteurs, affirme que les planteurs qui ont perdu leurs terres et leur bétail dans les hautes terres à cause des glissements de terrain n’ont pas reçu suffisamment d’aide.
« Après ces pertes ce n’est pas facile de se relever, » dit Rebecca. « Nous n’avons pas trouver d’aide de l’État, les prix des semences ont augmentés à cause de la rareté de carburant sur le marché et nous n’avons pas de crédit agricole. Nous sommes livrés à nous même. »
Mais le Maire de Maniche, Jean David Brunard, affirme que certains agriculteurs ont reçu des semences du gouvernement pour les aider à rétablir leurs fermes.
« Je n’aime pas quand certains planteurs disent que L’état ne les aide pas, » dit-il. « Les organisations internationales ne peuvent pas venir dans une communauté sans un partenariat avec la mairie, donc indirectement on apporte notre aide. »
L’agricultrice Rose Marthe Desrivieres dit que le gouvernement a distribué des semences de pois noir, mais comme cette culture nécessite beaucoup d’eau pour pousser, seuls les planteurs à proximité d’une source d’eau ont pu utiliser les semences.
« Le ministère a procédé à la distribution en décembre et généralement on plante les pois en novembre, » ajoute-t-elle. « Comme les autres planteurs j’ai dû vendre d’autres biens pour me procurer les semences en novembre et en recevant les semences [du gouvernement], je les ai vendues. »
Pierre Thomas Raphael, un agriculteur qui cultive du riz en plus petites quantités qu’avant le tremblement de terre, affirme que les semences gratuites ne sont pas la solution.
« Ce dont nous avons principalement besoin c’est la sécurité dans le pays, des crédits agricoles pour les planteurs et des micros crédits pour les Madan Sara pour nous permettre de nous relever, » dit Raphael
Maudeline Rozin a cessé de travailler comme Madan Sara, un mode de vie auquel elle a été initiée à un jeune âge. Avec le blocage des routes, le métier n’est plus rentable. Elle vend maintenant de l’huile de cuisson à Maniche.
Alors que certaines de ces femmes recherchent des opportunités économiques alternatives et que d’autres se contentent de moins de revenus, il est possible que continuer le métier de Madan Sara ne soit plus une option pour beaucoup.
« Notre sort sera toujours scellé sans sécurité, » dit Durand. « Il n’y a plus moyen de circuler et de vendre à bon prix. »
Rose Hurguelle Point du jourest journaliste à Global Press Journal en Haïti.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Soukaina Martin, GPJ.