PORT-MARGOT, HAITI — La famille de Jadeline François élève des poulets depuis des générations. Ses poulets créoles fournissent non seulement de la nourriture à sa famille, mais lorsqu’elle les vend, ils rapportent plus que les poulets importés. Ils sont considérés comme un mets fin et sont souvent mis en offrande pour remercier les esprits lors des cérémonies vaudous.
François garde une partie des œufs de ses poules pour nourrir sa famille et laisse éclore le reste pour les ajouter à la troupe qui vit en liberté près de chez elle à Port-Margot, une commune rurale du nord d’Haïti où l’agriculture et la pêche alimentent l’économie. Mais dernièrement, sa troupe de poulets a diminué.
« J’ai grandi en voyant ma mère pratiquer [l’aviculture] et c’est tout naturellement que je m’y suis mise à mon tour. Cela nous permet de subvenir aux besoins de nos familles au quotidien, » dit François, qui vend ses poulet pour payer les fournitures scolaires de ses enfants. « Mais à cause de la maladie, nos poules meurent en quantité. »
Après l’agriculture, l’élevage d’animaux pour la viande et le lait est l’une des principales sources de revenus des communautés rurales d’Haïti, générant des millions de dollars américains par an pour l’économie haïtienne. Mais chaque année, plus de 1 000 poules meurent à Port-Margot d’une maladie connue sous le nom de « maladi poul » (la maladie des poules, « lafyèv poul » (la fièvre des poules) ou maladie de Newcastle, une maladie virale
très contagieuse qui touche les oiseaux, notamment les volailles domestiques. Les symptômes peuvent inclure une perte d’équilibre, des problèmes respiratoires et une position anormale de la tête et du cou, mais tous les poulets ne présentent pas ces symptômes, ce qui fait que la maladie est difficile à contenir.
À un moment où des niveaux accrus de violence et d’instabilité politique entravent les capacités économiques et sociales du pays, la prévalence de cette maladie entrave la capacité des gens à gagner de l’argent avec leurs élevages de poulets et à se nourrir. De nombreux éleveurs sont contraints de tuer leurs animaux avant que la maladie ne se propage. Un vétérinaire local qui a été témoin de la disparition de centaines de poulets par cette maladie veut s’assurer que les agriculteurs adoptent de meilleures pratiques pour contenir la maladie et lutte pour un programme de vaccination.
Située dans le département du Nord, à environ 35 kilomètres (22 miles) à l’ouest de Cap-Haïtien, la deuxième plus grande ville d’Haïti, Port-Margot est une commune agricole de près de 50 000 habitants, selon les chiffres du gouvernement de 2015. La plupart de ses agriculteurs élèvent des bovins, des cabris, des porcs et des poulets, remplissant un rôle crucial dans l’économie locale.
Les Haïtiens élèvent souvent des poulets locaux connus sous le nom de poulet créole ou poul peyi. La viande est considérée comme supérieure au poulet Leghorn blanc importé de la République dominicaine voisine et peut coûter jusqu’à cinq fois plus cher que le poulet importé, ce qui fait de l’élevage de ces animaux une activité lucrative. Les œufs de poules créoles peuvent également atteindre le double du prix de ceux importés de la République dominicaine.
« Les poules constituent une grande ressource économique en cas de besoin, » explique Dasline Nelson, qui travaille comme commerçante et éleveuse de poulets depuis l’âge de 16 ans. « Lors de ma grossesse, l’argent de leurs vente a servi à l’achat du trousseau de mon bébé, malheureusement cette année, j’ai fait les frais de la maladie. J’avais 23 poules, il ne m’en reste que 8, » ajoute-t-elle, faisant référence à la maladie de Newcastle.
Ces poulets locaux sont très demandés pour les cérémonies vaudou, où ils sont offerts aux esprits ou aux loa en échange d’une aide pour un problème particulier, explique Consius Leconte, sage-femme et houngan, ou prêtre masculin, qui dirige les cérémonies vaudou. Le poulet créole noir est associé à Papa Legba, le loa qui a une influence sur la communication et la parole ; le coq rouge est associé à L’inglesou, un loa très redouté. Des poulets sans couleurs distinctives peuvent être offerts en sacrifice pour guérir une personne malade de son mal, dit Leconte.
Mais ce poulet local très demandé est continuellement menacé. Une fois qu’un poulet a contracté la maladie de Newcastle, celle-ci peut se propager à l’ensemble du troupeau en deux à six jours. les agriculteurs doivent agir rapidement s’ils soupçonnent que l’un de leurs poulet est infecté.
Selon un rapport de 2010 du ministère de l’Agriculture, la maladie peut tuer 60 à 80 % de la population avicole chaque année. Le rapport a également présenté une proposition pour résoudre le problème, qui comprenait la formation des éleveurs de poulets à construire des poulaillers appropriés pour leur bétail et un programme de prévention coordonné par les services vétérinaires de l’État. Cependant, les agriculteurs de Port-Margot n’ont reçu aucune aide gouvernementale pour lutter contre cette maladie depuis une campagne de vaccination il y a près de trois décennies, selon Antoine Ferdinand, un vétérinaire du programme de 1994. Selon les éleveurs de poulet, leurs seules solutions ce sont les remèdes maison et tuer les poulets dès qu’ils montrent des signes de maladie, ce qui fait qu’il est difficile de pratiquer l’élevage et la vente et de vivre de cette méthode d’élevage.
Le ministère de l’Agriculture n’a pas répondu aux nombreuses demandes de commentaires.
« Cette maladie se produit à chaque changement de saison, avec la variation de température. Elle peut donc frapper 3 à 4 fois dans une même année, » explique Antoine Ferdinand, vétérinaire et ancien magistrat de Port-Margot. « Plusieurs facteurs rentrent en cause de sa propagation à Port-Margot, parmi lesquels, la pratique d’une méthode d’élevage rustique. »
De nombreux aviculteurs ne gardent pas leur poulets confinés, en partie à cause du coût de construction d’un enclos pour abriter des dizaines de poulets, mais aussi parce qu’ils pensent que cela empêchera aux poulets de prospérer et de produire régulièrement des œufs. Pour garder leurs poulets près de chez eux, les éleveurs les marquent souvent avec de la peinture puis les attachent pendant une semaine, en les nourrissant régulièrement au même endroit. Lorsqu’ils sont libérés, ils retournent souvent à l’endroit où ils ont reçu de la nourriture.
« Il arrive parfois [que] nos poules pondent leurs œufs ailleurs et se les font voler, ou bien elles se font tuer par les malfinis, mais le soir, lorsqu’elles grimpent aux arbres pour dormir, c’est une bonne chose , elles sont mieux protégées des voleurs. » explique François, qui habite la zone de Bas Petit Borgne de Port-Margot.
En l’absence de solution efficace, les éleveurs de poulet fabriquent leurs propres remèdes. François dit que ses remèdes sont composés de paracétamol, de jus de citron et de café, qui, selon elle, lorsqu’ils sont pris quotidiennement, améliorent la santé de ses poulets, bien qu’elle n’ait aucun moyen de savoir s’ils sont toujours porteurs de la maladie.
« Si on arrive à trouver de l’aide pour établir des campagnes de vaccination à Port-Margot, et avoir accès à de la nourriture pour les poules à des prix abordables, cela nous aidera vraiment beaucoup et nous pourrons ainsi protéger et produire plus de poulets créoles, » déclare Jacquelin Gracius, chauffeur de moto taxi et aviculteur.
Ferdinand ne veut pas attendre que le gouvernement organise un programme de vaccination pour Port-Margot. Il est en train de créer une nouvelle organisation, en consultation avec des médecins, des professeurs et des agriculteurs pour fournir aux éleveurs un programme régulier de vaccination. Pendant ce temps, tout ce qu’il peut faire est d’encourager les éleveurs à construire des poulaillers pour leurs poulets créoles errants, une dépense qu’il sait que beaucoup ne peuvent se permettre.
Wyddiane Prophète est journaliste à Global Press Journal en Haïti.
NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION
Traduit par Soukaina Martin, GPJ.