Un groupe international de naturalistes, de diplomates et de membres de la famille royale crée le Parc national Albert (aujourd’hui parc national des Virunga) en tant que « laboratoire mondial ». Il s’agit du premier parc national d’Afrique.
Situé dans ce qui était alors le Congo belge colonial, le parc est conçu comme une réserve et un centre de recherches pour la dernière population importante des gorilles de montagne dans le monde. En 1925, les projets ont évolué pour intégrer la « protection » des chasseurs-cueilleurs nomades (souvent appelés pygmées) vivant au sein du parc.
Au prix d’énormes sacrifices humains, les autorités coloniales belges étendent les limites des Virunga. En dépit d’affirmations ultérieures selon lesquelles seuls environ 300 pygmées vivaient dans l’enceinte du parc, des milliers de Hutus et de Tutsis (des tribus plus tard impliquées dans le génocide rwandais) sont expulsés du parc durant son extension.
Cependant, les pygmées sont autorisés à vivre dans le parc et à y mener des activités de chasse et de pêche ; en contrepartie, ils doivent devenir des sujets d’études anthropologiques.
Au cours des années 1920 et 1930, les directeurs des Virunga, qui vivent à Bruxelles, se concentrent sur la recrudescence des cas de maladie du sommeil, une pathologie relativement bénigne causée par la mouche tsé-tsé et présentant des symptômes tardifs que les populations locales ont longtemps tolérés. Sous prétexte d’œuvrer à l’éradication de la maladie du sommeil, des interdictions de pêche sont imposées et les habitants de villages attenants au lac Édouard sont expulsés, lit-on dans un ouvrage du professeur congolais Paul Vikanza.
En 1935, les autorités belges du parc étendent les limites des Virunga pour englober les zones dépeuplées dans le cadre de la lutte contre la maladie du sommeil.
La RDC obtient son indépendance de la Belgique en 1960. Au cours des décennies suivantes, l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), chargé de la gestion des parcs nationaux du pays, décline et les gardes forestiers de l’ICCN se lancent dans le braconnage, la pêche illégale et la production de charbon pour compléter leurs salaires en chute libre, selon une étude de 2018 menée par Judith Verweijen et Esther Marijnen.
Dans l’intervalle, l’accroissement de la pauvreté ainsi que les infrastructures vieillissantes du pays rendent les communautés proches des Virunga de plus en plus dépendantes des ressources du parc.
Avec l’éclatement du génocide rwandais, la situation va de mal en pis. Les forêts des Virunga, qui s’étendent le long de la frontière RDC-Rwanda, deviennent le refuge de centaines de milliers de réfugiés rwandais, en même temps que des milliers de leurs ennemis génocidaires.
Les Nations Unies reclassent le statut de patrimoine mondial des Virunga comme menacé.
Juste quelques années plus tard, la violence refait surface. La première et la deuxième guerre du Congo (1996-1997 et 1998-2003) tuent environ 5 millions de personnes (le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale) et donnent lieu à de considérables vagues de migrations. ( Lisez ici l’expérience personnelle de nos journalistes. )
Défigurant le paysage, des camps de fortune émergent tout autour du parc pour les déplacés internes. Au plus fort des hostilités et à mesure que les personnes déplacées ramassent du bois de chauffage, les Virunga perdent chaque jour environ 89 hectares (220 acres) de forêt. (Lire ici le reportage de Global Press Journal sur la déforestation dans les Virunga.)
Emmanuel de Merode, un prince belge dont l’ancêtre fut impliqué dans la gestion du parc durant la période coloniale, devient le gardien en chef du Parc national des Virunga et directeur de la Fondation Virunga. C’est à l’University College de Londres que de Merode obtient son doctorat en anthropologie biologique ; il est par ailleurs auteur d’une multitude d’études de conservation.
Dans un chapitre du livre qu’il rédigea sur la conservation au sein du Parc national de la Garamba en RDC, de Merode conclut qu’ « il n’est pas possible de justifier que l’expulsion de populations résidentes soit une condition nécessaire à une conservation réussie. » Pourtant, durant ses années en tant que gardien en chef des Virunga, les gardes forestiers lancent au moins six opérations visant à expulser les personnes vivant dans l’enceinte du parc et y menant des activités agricoles.
Des assaillants non identifiés montent une embuscade et tirent sur de Merode, des heures après qu’il a déposé un rapport sur les activités de SOCO, une compagnie pétrolière britannique qui cherchait à obtenir le droit d’explorer les Virunga en quête de gisements de pétrole. Plusieurs groupes armés opèrent dans le parc à cette époque.
Un documentaire, « Virunga », est publié, mettant en évidence les efforts de de Merode et de ses éco-gardes pour protéger les gorilles de montagne des Virunga en dépit des violents combats au sein et autour du parc. Le documentaire n’évoque pas les présumées violations des droits humains par les gardes forestiers.
Les Virunga se situent dans l’une des zones les plus densément peuplées de la RDC. Plus de 4 millions d’âmes vivent à moins d’une journée de marche de ses bornes, y compris deux journalistes de Global Press Journal (Noella Nyirabihogo et Merveille Kavira Luneghe) qui ont grandi dans cette contrée et rédigé pendant plus d’une décennie des articles sur leurs communautés.

Leurs récits ont mis l’accent sur les personnes expulsées de leurs domiciles lors de la création du parc, ainsi que sur les efforts de ces déshérités durant des années pour reconquérir leurs terres ancestrales. Une loi entérinée en juillet 2022 inclut les droits des autochtones, notamment « le droit à la propriété foncière et aux ressources naturelles qui leur appartiennent, et dont ils jouissent. » (Lire ici l’article de Nyirabihogo relative à cette loi.)
Luneghe s’est entretenue avec des familles qui, pour échapper au conflit qui couvait dans la région, ont trouvé asile dans les Virunga juste pour se voir expulsées sous la menace des armes (Lire ici son article sur les déplacements forcés.)
Pour enrichir la longue histoire de reportage de nos journalistes à l’est de la RDC, ce portrait chronologique plonge dans l’histoire des Virunga, depuis ses tumultueuses origines aux tournures les plus récentes : qui en tient les rênes et pour quelle raison ?
La population croissante du Nord-Kivu a fait des terres fertiles du parc national des Virunga une richesse très convoitée ; mais les personnes qui s’y aventurent pour des activités agricoles le font à leurs risques et périls.
S’il est vrai que la déforestation menace l’avenir du parc, les abatteurs d’arbres luttent eux aussi pour leur survie.
Bien qu’une loi de 2022 protège les droits fonciers des autochtones, les expulsions du parc national des Virunga entravent considérablement les modes de vie traditionnels.