Prologue
C’est mon terroir, et en voici le récit.
Ce récit est celui de mon terroir, une petite cité que l’on appelle Kirumba nichée au cœur de la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Peut-être, vous n’en avez jamais entendu parler. Les journalistes étrangers n’arrivent jamais ici. Je suis la seule journaliste ici.
Le récit de mon terroir est peu connu. Au fil de mes jours, mon terroir s’est vu accoler une double épithète : un paisible sanctuaire et un emblème du chaos déchiré par la guerre. Chaque année, mon petit coin de la RDC reste une source de milliers de réfugiés dans le monde. Aussi des millions d’autres sont-ils déplacés à l’intérieur des frontières du pays.
Pourquoi tant de mes semblables choisissent-ils de déguerpir ? Et pourquoi ai-je décidé d’y rester pour toujours ? Tel est le nœud du récit.
Je prends la plume pour partage mes souvenirs avec vous car je sais que vous et moi avons plus en commun que vous ne le croyez. Je vous abreuve d’un récit de mon pays natal, parce que je veux que vous sachiez ceci : il est plus qu’un endroit aux réalités tragiques.
Bienvenue dans mon terroir natal !
Chapitre 1 : Souvenirs, 1996
« Cette date, je ne l’oublierai jamais ».
Ce petit village, terroir natal de ma famille, est lové dans une vallée entourée de montagnes la pressant de toutes parts. C’est à l’est de ce village que se trouve la rivière Taliha dont la brise souffle une première fois tous les matins et une seconde fois tous les soirs lorsque la lumière du soleil s’éclipse dans l’ombre. Le bruit du vent dans les bananiers et des caféiers – ou mieux encore le psithourisme, comme on l’appelle, offre une sonorité romantique.
Or, quand le vent se met à forcir, provoquant la chute de branches d’arbres, la peur s’installe. Et avec ces bruits sourds qu’émettent ces branches, on se rappelle qu’un ennemi peut venir nous assener un coup dur. La seule solution, rester sur le qui-vive et vigilants.
Ce dont je me souviens, c’est qu’à l’époque, il y a plus de 20 ans de cela, la majorité des maisons à Hutwe étaient soit en paille, soit en terre. Et quand la pluie se déversait sur terre, l’eau passait à travers le toit en chaume. On devait se couvrir avec du plastique de peur de se mouiller.
Même aujourd’hui, je sens l’odeur de ces feuilles de bananier et des crottes de chèvre des étables voisins. Et de mon grand-père, je me souviens qu’il me disait : « N’aie pas peur. Si l’ennemi venait, nous pourrions courir et nous cacher dans des grottes ».
Toute petite, je faisais de son village mon lieu de refuge. Moi, je vivais à Kirumba, une cité située à 37 kilomètres, et mes grands-parents, eux, restaient à Hutwe où se trouvent les terres de ma famille.
En 1996, j’avais 17 ans. Cette même année, des affrontements ont opposé les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), un groupe emmené par Laurent-Désiré Kabila qui, par la suite, est devenu maître du pays.
Ces combats se passaient dans la province du Sud-Kivu, à des centaines de kilomètres.
Les Wangilima, un groupe armé pro-Kabila, ont ainsi erré librement dans le territoire de Lubero, lieu de mon demeure.
Pourtant, le territoire de Lubero avait été toujours dans l’isolement. Souvent, ses habitants y restaient cloitrés et les étrangers ne pouvaient pas s’y introduire. Lorsque des dizaines de milliers de Hutus rwandais ont franchi la frontière en RDC par crainte de représailles suite au génocide qui venait d’endeuiller leur propre patrie, ils ont, une fois ici, eux aussi fini par être été victimes de violences.
En mars de cette même année, les Wangilima ont pris d’assaut Kirumba à la chasse de quiconque parlait le kinyarwanda ou était soupçonné d’être rwandais. Ils ont sauté sur l’occasion pour réaliser un plan macabre pour les exterminer, même si leurs méthodes brutales faisaient aussi des victimes parmi les Congolais.
Nos chefs de village ont continué de négocier avec eux pour qu’ils arrêtent de tuer notre peuple et nous laissent vaquer à nos travaux champêtres. Pourtant, la persistance de ces négociations a fait que la vie se mène dans une atmosphère tendue et nous étions toujours à couteaux tirés avec les Wangilima, et ce, pendant des mois.
Quelques mois plus tard, les choses n’ont fait qu’empirer davantage.
L’AFDL, groupe emmené par Kabila qui voulait à tout prix chasser le président Mobutu Sese Seko du pouvoir, est arrivé dans la région, usant de son artillerie lourde pour exercer son pouvoir et chasser les Rwandais. Que nous et bien d’autres fussions des Congolais, peu leur importait. Les Banyarwanda – les gens d’origine rwandaise vivant dans l’est de la RDC – vivaient parmi nous.
Craignant pour notre vie, nous avons alors pris la fuite.
Le 4 juillet 1996 est ce jour que je n’oublierai jamais. Peu après 5 heures du matin, des tirs d’obus et de roquettes provenant des collines de Mighobwe et de Bwatsinge, à 7 kilomètres, s’abattaient sur le nord. Partout autour de nous, des bruits sourds se faisaient entendre.
Jamais encore nous n’avions vécu cela. J’ai dû m’en remettre à ma mère pour savoir ce qui se passait. Elle non plus n’en savait rien.
Dehors, on courait dans tous les sens. Des mères tenaient des bébés dans leurs bras. Des hommes, torse nu, fuyaient dans un sauve-qui-peut. Cris, pleurs…un chaos total s’emparait de tout. Tout à coup, je ne pouvais voir ni ma mère, ni mon père. Mes deux sœurs cadettes – Oripa, 13 ans, et Rachel, 11 ans – et moi n’avions qu’à subir le sort de fuir seules vers Hutwe.
Il ne m’était jamais arrivé de parcourir une si longue distance à pied. Toute une journée ne suffisait pas pour la parcourir. Notre première nuit, nous l’avons passée dans une cabane abandonnée sur Itungi, une colline située à quelques kilomètres.
Cette nuit-là, des tirs intensifs ont repris.
Avant de dormir, nous avons mangé du manioc. Tôt le lendemain matin, nous avons repris le chemin, cette fois-ci sous une pluie torrentielle. Et on n’était pas les seules à affronter le trajet, car force gens étaient en route pour Hutwe.
Ne sachant pas si on allait rentrer un jour, on portait sa maison avec soi avec des fardeaux perchés sur la tête de chacun.
Glissants étaient ces sentiers de montagne. Ayant du mal à rester debout, nous ressemblions à des porcs qui s’étaient vautrés dans la boue.
Arrivées à Hutwe à 16 heures, nous sommes tombées sur une joyeuse surprise : nos parents étaient là. C’était le moment de joyeuses retrouvailles, car chacune de nous avait perdu l’espoir de revoir notre famille un jour.
Les habitants de Hutwe veillaient sur nous. Ils étaient conscients du risque de se retrouver dans la même situation un jour.
Le village n’avait pas grand-chose. Nous pouvions manger leurs récoltes d’ignames, de citrouilles et de bananes, mais trop de gens avaient besoin de nourriture. Chez mes grands-parents, nous devions coucher sur des feuilles de banane sèches avec la faim au ventre.
Peu de temps après, des problèmes de santé nous ont envahis : diarrhée, grippe et signes avant-coureurs de faim chronique. Ma sœur cadette, Grace Kyakimwa, souffrait essentiellement de la malnutrition. Elle n’avait que quatre ans à l’époque.
Pour ma famille, il était temps de retourner à Kirumba malgré le risque de s’y faire tuer par les Wangilima.
« Vivre loin de chez nous et de nos champs est le pur cauchemar qu’un père de famille peut vivre », m’a dit mon père lorsque je lui ai demandé d’évoquer ce qui se passait.
Le choix de retourner à Kirumba ne pouvait, pourtant, se faire sans prix. L’AFDL exigeait aux gens de donner de l’argent en échange d’un cessez-le-feu, même tendu.
Certaines familles essayaient de retourner subrepticement dans le village sans bourse délier, se faisant sévèrement battre, une fois attrapées. En assenant des coups au ventre de ces gens, il s’agissait, selon ces soldats, de « réchauffer leurs intestins ».
Mon père se souvient avoir payé 10 000 zaïres pour notre retour. (En mai 1997, le Zaïre fut rebaptisé en République démocratique du Congo). Il s’agissait, même à cette époque, d’une somme très infime par rapport au dollar américain. Des experts économiques internationaux avaient rejeté le zaïre comme étant sans valeur, mais à Kirumba, cité isolé, 10 000 zaïres ont suffi pour que toute ma famille obtienne le feu vert pour retourner chez nous.
Mes parents étaient prêts à accepter n’importe quelle condition permettant notre retour.
Chapitre 2 : Histoire
Les origines du conflit
La RDC se classe au douzième rang mondial pour la superficie de son territoire et ses vastes étendues demeurent isolées. Selon le World Population Review, le pays compte environ 86,6 millions d’habitants.
S’étendant à travers le centre du continent et détenant une grande partie des forêts les plus denses de la planète, le reste du pays est parsemé de petites communautés reliées entre elles par des sentiers pédestres.
Cette partie du monde a poussé Henry Morton Stanley, explorateur britannique, à désigner l’Afrique par le vocable de « continent le plus sombre », une phrase qui a simultanément enflammé l’imaginaire des chasseurs de trésors coloniaux et popularisé la notion d’un lieu homogène riche en jungles dangereuses et en faune formidable et aux simples humains. Les récits de Stanley sur la région qu’est aujourd’hui la RDC ont concrètement ouvert le territoire à l’exploration et à l’exploitation européennes.
En 1885, Léopold II, roi de Belgique, revendiqua ce qui est aujourd’hui la RDC, 16 ans après le début de l’œuvre exploratoire de Stanley, et le dirigea initialement à titre de propriété privée.
Ces années sous Léopold II étaient terribles pour les Congolais ordinaires. Alice Seeley Harris, missionnaire britannique, a rendu compte des pratiques effroyables de la société anglo-belge India Rubber Company, qui asservissait les Congolais et leurs enfants et les mutilait ou les tuait en cas de non-respect de leurs quotas de récolte de caoutchouc. Les photographies de Harris ont attiré l’attention de la communauté internationale sur l’État privé de Léopold II, qui l’a finalement contraint à le remettre à la Belgique, pays ont il tenait les rênes, et ce, en 1908.
La Belgique a renoncé à ce contrôle en 1960, année d’accession à l’indépendance par la RDC.
Pourtant, l’exploitation n’a pas cessé. La RDC est riche en diamants, or, cobalt, pétrole et autres trésors naturels. Des groupes armés locaux et de grandes sociétés minières internationales y opèrent avec une relative autonomie, car ils font l’objet d’une surveillance limitée. Dans ce pays, les régions les plus riches en ressources sont aussi celles qui sont les moins développées.
Et le sort des habitants de l’est de la RDC est inextricablement lié à ce qui se passe au Rwanda voisin.
Lorsque le génocide au Rwanda a pris fin après une centaine de jours horribles en 1994, plus de la moitié des 2 millions de Rwandais traversant la frontière se sont enfuis dans l’est de la RDC, qui s’appelait alors le Zaïre. Ils craignaient que le nouveau gouvernement à majorité tutsie ne cherche à se venger des massacres d’au moins 800 000 personnes dirigés par les Hutus. Beaucoup de ces réfugiés étaient des gens ordinaires qui craignaient que leur identité tribale hutue ne les destine à la mort, mais des dizaines de milliers d’entre eux espéraient faire revivre des groupes armés dans des camps de réfugiés. En fait, quoique techniquement gérés par l’ONU et d’autres organisations, les camps de réfugiés au Nord et au Sud-Kivu, étaient, vers le milieu de 1996, contrôlés par des groupes armés alliés aux Forces armées rwandaises dominées par les Hutus, qui avaient joué un rôle clé dans l’exécution du génocide au Rwanda.
Les Wangilima qui contrôlaient Kirumba en 1996 affirmaient vouloir chasser les Banyarwandas de la région, mais ils ont profité de l’isolement de cette cité pour menacer les gens, faisant usage de la violence. À l’arrivée de l’AFDL, ce fut toujours la même chose. Kabila, son chef soutenu par le nouveau gouvernement rwandais, a cherché à expulser du pays toute personne ayant des racines rwandaises, qu’il s’agisse d’un réfugié nouvellement arrivé ou de celui qui était là depuis des décennies. Et dans ce cas également, les abus pervers ont proliféré au grand dam des habitants, quelles que soient leurs origines.
Chapitre 3 : Souvenir, 1994
« Je me rappelle la première fois où j’ai vu des réfugiés ».
En 1994, je n’ai entendu aucun coup de feu.
On ne peut cependant pas dire que tout était en or à cette époque, mais on vivait au moins en paix. La plupart des gens ici avaient pour activité essentielle l’agriculture : manioc, haricots, maïs, millet, citrouilles, patates douces, pommes de terre. Certains pratiquaient la culture de bananes pour fabriquer une bière locale appelée kasiksi.
Si ma mémoire est bonne, la vie était heureuse. Certaines gens, en particulier ceux qui étaient impliqués dans la politique et qui étaient frustrés par le régime du président Mobutu Sese Seko, se sont réfugiés dans d’autres pays. Mais pour nous, agriculteurs et éleveurs ordinaires, on labourait nos terres sans crainte. L’absence de guerre était tout ce dont nous avions besoin.
Je me souviens de la première fois que j’ai vu des réfugiés. C’était en 1994 et ma mère et moi nous rendions à l’hôpital général de Kayna à Kirumba. Mon frère, Kambale Makembe, avait 19 ans et était hospitalisé pour une crise d’appendicite. En route, je les voyais – et je savais qu’ils n’étaient pas d’ici. Quoique le mot « réfugié » ne figurasse pas dans mon vocabulaire à cette époque, je savais que ces gens fuyaient en quête de paix.
Sur leurs visages, on pouvait lire une si grave tristesse que je ressentais de la pitié pour eux. Outre des matelas sur la tête, on pouvait aussi les voir porter leurs fournitures essentielles sur le dos. Dans mon cœur, je me disais qu’ils devraient jouir des mêmes droits humains que moi : droit à la protection, au logement et à l’alimentation.
Certains de ces réfugiés ont trouvé refuge dans des églises et des écoles de notre cité. Je me souviens comme si c’était hier du jour où j’ai accompagné ma mère alors qu’elle apportait à manger à un groupe d’entre eux dans une église voisine. Des enfants affamés et à moitié nus, j’en ai vu pleurer.
C’était une confusion totale dans l’esprit des parents, car ils ne savaient que faire.
Des spectateurs curieux ont afflué pour regarder ces réfugiés. Pour nombre d’entre nous, c’était la première fois que nous voyions des gens d’autres terroirs.
Plus tard dans la soirée, j’ai décrit ces scènes à mes frères et sœurs.
« Écoute », prévient mon frère aîné. « Ces gens que vous avez vus sont des malfaiteurs chassés du Rwanda. Après avoir tué leurs compatriotes, ils ont fui jusqu’ici. Nous ne sommes pas à l’abri et ils peuvent nous faire du mal un jour ».
Par ces mots, j’ai commencé à avoir une peur pathologique des réfugiés rwandais. Nous étions sûrs qu’ils avaient tué beaucoup de gens dans leur pays d’origine et qu’ils feraient de même ici.
Triste ironie du sort : même pas deux ans plus tard, nous devenions nous-mêmes comme des réfugiés.
Chapitre 4 : Histoire
Première et deuxième guerres du Congo
Depuis 1993, les Wangilima et d’autres groupes armés connus sous le nom de Maï-Maï ont tué des milliers de personnes et contraint environ 300 000 personnes au déplacement dans la province du Nord-Kivu en RDC. Selon Human Rights Watch, cela s’inscrivait dans une vaste opération coordonnée visant à débarrasser la RDC, alors appelée Zaïre, des Rwandais et des personnes d’ascendance rwandaise.
En 1996, 18 000 autres ont été contraintes de quitter la province du Nord-Kivu. Les violences dans la région ont déclenché ce que l’on appelle la première guerre du Congo. Soutenant Kabila, les troupes rwandaises et ougandaises sont entrées dans l’est de la RDC en route vers Kinshasa, capitale, où Kabila avait pris la tête du pays en septembre 1997.
Comme la loyauté de Kabila envers le Rwanda et l’Ouganda n’allait pas résister à l’épreuve du temps, les troubles dans l’est de la RDC se sont poursuivis, ce qui provoqua une invasion des troupes de ces pays en 1998. Ce conflit, appelé la deuxième guerre du Congo, a pris fin en 2003.
Kabila a été assassiné en 2001 et son fils, Joseph Kabila, fut porté au pouvoir qu’il a quitté en janvier de cette année. Ces manœuvres politiques brusques et complexes ont laissé l’est de la RDC dans un état de mutation constante, avec un nombre sans précédent de déplacés internes et de réfugiés se déplaçant d’un endroit à l’autre.
Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe qui se compose principalement de membres du gouvernement et de l’armée rwandaises ayant été chassés du Rwanda après le génocide de 1994, sont devenues actives au cours des dernières étapes de la deuxième guerre du Congo et restent actives aujourd’hui.
On estime que 5 millions de personnes sont mortes pendant la première et la deuxième guerres du Congo, entre 1996 et 2003.
Après les guerres du Congo, l’est de la RDC est resté un noyau d’insécurité, car plus de 130 groupes armés continuent de se battre activement entre eux ainsi que contre l’armée congolaise ou les forces onusiennes. Les causes de ces combats varient, allant du contrôle des ressources à la taxation illégale de n’importe quoi, depuis les minéraux jusqu’aux biens et à la circulation sur certaines routes.
Chapitre 5 : Souvenirs, 1996
« Nous nous cachions dans des vallées, sous des feuilles de bananier ».
La vague de violences dans le territoire de Lubero en 1996 était grave. Nous avions été contraints au déplacement par l’AFDL cette même année tout en jouissant d’un retour d’une paix fragile que nous avions faite avec eux, mais les perturbations se sont poursuivies, au grand dam de nous.
Riche en ressources, notre région était devenue un pôle d’attraction pour des factions militaires et des groupes armés, connus en RDC comme des groupes Maï-Maï. Chez nous, chacun d’eux apportait son propre lot de violences et faisait la loi à sa manière.
Maï – ou maji – est un mot en swahili, langue couramment parlée dans la province du Nord-Kivu, qui signifie « eau ». Si l’on en croit des habitants, les groupes Maï Maï se lavent avec une eau magique qui protège leur corps de balles. Cela semble tenir plus du fantasme que de la réalité, mais parfois, nous aimons mieux croire que ces combattants Maï-Maï sont porteurs d’une protection surnaturelle. Quand on entend toujours parler de ce genre de récits de gens qui, aux dires même des gens de confiance avouant être des témoins oculaires, sont des pare-balles eux-mêmes ou ne perdent aucune goutte de sang quand les couteaux leur transpercent la poitrine, on ne fait que commencer à y croire.
Les objectifs et tactiques des groupes Maï-Maï en disent long sur les grandes différences existant entre eux. On en compte de petits groupes composés d’aussi peu que 20 hommes occupés à protéger leurs propres villages. D’autres, pouvant compter jusqu’à 200 membres, sont mus par la soif de conquête des routes clés ou des régions entières. Certains des groupes les plus célèbres sont actifs dans le parc national des Virunga, fleuron de la RDC connu pour sa richesse naturelle et ses animaux, surtout les gorilles. Dans ce parc, ces groupes Maï-Maï abattent parfois des gardes, mais aussi des animaux en quête de terres à contrôler et de fric.
Quand les Maï-Maï sont arrivés, certains de nos gens ont été tués, et certains autres blessés. Certains ont disparu et d’autres ont perdu leurs biens.
Nous cherchions refuge dans les vallées, sous les feuilles de bananier. Une grande peur s’emparait de nous parce que des rumeurs couraient que les militaires pouvaient nous voir avec leurs jumelles. Désemparés, nous ne savions plus où nous cacher.
Quiconque dans ma cité ayant connu cette triste expérience s’en souvient très bien. Pour certains, l’arrivée de l’AFDL fut le prolongement de la terreur.
Kavira Shalikowiwe est la cousine de mon père. Je l’appelle ma tante. Cette tante, 50 ans aujourd’hui, avait trois jeunes enfants à l’époque. À l’arrivée de l’AFDL, elle a pris ses enfants avec elle pour aller se cacher dans un champ de ses parents.
« Nous y avons passé deux mois », se souvient ma tante.
Et quand les Maï-Maï sont arrivés, ma famille, elle aussi, s’est retranchée dans des champs. Fuyant nos maisons, nous avons pris avec nous des fournitures essentielles, surtout les haricots et la farine de manioc ou de maïs. Nous avons emmené avec nous un bidon que nous utilisions pour puiser de l’eau à une rivière voisine ainsi que deux casseroles. Les hommes se sont entraidés pour ériger de petits abris à l’aide des arbres et des herbes.
Nous redoutions la nuit car on n’avait pas d’endroit sûr où dormir. En cas de pluie, on se serrait les uns contre les autres pour tenter notre chance de rester au chaud et au sec.
Quand il n’y avait plus rien à manger, nous fouillions nos champs à la recherche des racines de manioc et des pommes de terre. La viande restait un luxe inaccessible, sauf en cas de capture de rats sauvages.
J’avais 17 ans et étais enceinte de sept mois cette année-là. Pourtant, je ne pouvais bénéficier d’aucune consultation prénatale.
On voyait cela arriver aux réfugiés rwandais. Jamais nous ne pensions que notre tour allait venir si vite.
Mais, à la différence de ces réfugiés, il n’est jamais arrivé à l’idée de ma famille d’abandonner nos maisons pour toujours.
Mon père, Matayo Luneghe, est un homme de petite taille qui a su perpétuer avec fierté l’héritage agricole de sa famille. Parfois, il nous laissait dans le champ pour s’enquérir de la situation dans la cité. Et, tout le temps, il devait ramper jusqu’aux confins de notre propre quartier et surveiller la situation. Quatre mois durant, il a fait cela à maintes reprises.
Même à cette époque, mon père jouissait du respect car il savait ce qui se passait dans la région et même au-delà des frontières de la RDC. Il écoutait la radio et faisait circuler les informations auprès d’autres habitants de Kirumba. Même de nos jours, un visiteur à Kirumba peut venir le chercher en le désignant par son nom et les habitants sauront de qui il s’agit. Aujourd’hui encore, il laboure ses terres à Kirumba et celles de sa famille à Hutwe.
Depuis 1996, l’aptitude à négocier avec les chefs des Maï-Maï est devenue une compétence précieuse. Stino Muhindo Sivyaghendera, aujourd’hui chef de quartier, frisait la vingtaine à l’époque. C’est à cette époque qu’il a affiné ses techniques diplomatiques. Il a demandé aux chefs des Maï Maï quelles étaient leurs attentes et la façon dont ils allaient faire la loi.
Accepter leur loi était une façon de les amener à arrêter les violences. Mais ce calme ne durait pas longtemps, car ces violences devaient reprendre de nouveau à plusieurs reprises.
Nous en avions marre de vivre ainsi.
Je me souviens d’avoir demandé à mon père pourquoi nous méritions ce genre de vie. Pourquoi ne pouvions-nous pas quitter pour chercher la stabilité ailleurs ?
Pourtant, il ne voulait pas m’entendre parler de cela.
Quitter, me disait-il, serait céder nos terres à l’ennemi. Ce serait trahir notre culture.
Jamais il ne lui est venu à l’idée de nous voir quitter pour ne jamais revenir.
Quiconque voulait nous aider, me disait-il, devait le faire chez nous, sur notre terre. Pour lui, il ne nous fallait pas aller vivre dans un camp pour que l’on nous apporte assistance.
Dans un camp, prévenait-il, nous risquons davantage de mourir de faim.
Quand est venu le moment pour moi de mettre au monde mon premier bambin, mon père a négocié avec les Maï-Maï pour qu’ils nous laissent retourner chez nous. C’est là où j’ai donné naissance à ma fille.
Chapitre 6 : Histoire
Exodes désespérés des communautés entières
Déterminer le nombre de déplacés internes dans l’est de la RDC n’est pas une sinécure, notamment en raison du fait que les groupes humanitaires peuvent accéder à un nombre limité de communautés déplacées. Se déplacer dans cette région est difficile, voire dangereux. Des groupes Maï-Maï contrôlent des tronçons de principaux axes routiers et forcent les voyageurs à payer des gratifications qu’ils qualifient de taxes. Des passants se font parfois voler ou tuer.
La Monusco, la force de maintien de la paix des Nations unies déployée dans cette région, organise des escortes armées pour des convois de voyageurs sur une route de près de 306 kilomètres entre Goma et Butembo, une ville qui longe la limite ouest du parc national des Virunga. Aux dires des journalistes de GPJ basées dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, quoique le convoi soit le moyen le plus sûr pour se déplacer dans la région, les tensions sont vives, même en cas d’escortes armées.
Lorsque les communautés sont prises en étau entre l’épaisse jungle et des groupes Maï-Maï en maraude, l’accès pour leur apporter assistance devient impossible pour des groupes humanitaires, déclare Chrispin Mvano, chercheur basé à Goma, qui suit les activités des groupes armés et le statut des déplacés internes ici.
Des exodes désespérés des communautés entières, comme ce fut le cas à Kirumba en 1996, sont fréquents dans l’est de la RDC. Aujourd’hui, Kirumba est considéré comme une zone phare où les habitants des villages de la région affirment que rester chez eux c’est prendre trop de risques face à la présence des groupes Maï-Maï. On chiffre à environ 5 000 le nombre de personnes venues s’installer à Kirumba au cours des deux dernières années, ce qui a entraîné des encombrements et de graves tensions.
Mais cela est souvent préférable à la vie dans des camps de déplacés formels, où les conditions sont généralement mauvaises.
« Les personnes qui y vivent n’ont pas accès à la nourriture ni à l’eau. On dirait un cimetière », s’alarme Mvano.
Même en cas de nouvelles faisant état du départ des Maï-Maï, il est rare que ces déplacés retournent dans leurs villages, affirme Mvano. Et pour cause, des membres de l’armée nationale occupent souvent des terres abandonnées par des personnes fuyant les violences, confie-t-il, et le gouvernement n’a jamais été en mesure d’assurer leur sécurité à long terme, laissant ainsi de fortes chances qu’un autre groupe armé arrive peu de temps après, forçant les habitants de fuir encore.
Avec autant de déplacés internes vivant loin de chez eux depuis si longtemps, certains depuis plus de 15 ans déjà, il est impossible de disposer des données officielles précises sur leur nombre.
En 2018, le gouvernement de la RDC et le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) ont convenu de modifier la définition des déplacés internes afin d’exclure les personnes ayant été dans des situations de déplacement pour plus d’un an. Après ce changement, l’Ocha a indiqué que le pays comptait 1,37 million de déplacés internes, soit une réduction sensible par rapport aux 4 millions de déplacés internes recensés dans le pays en 2017. Pourtant, la modification de la définition ne reflète pas de changement dans la réalité des déplacés internes ici.
Chapitre 7 : Souvenirs, 2011
« Se faire enregistrer comme refugié, c’est comme ouvrir la porte aux études universitaires »
Tout le monde connaît quelqu’un ayant menti pour être reconnu comme réfugié. Être orphelins ou courir un danger imminent, voilà ce qu’ils disent aux responsables humanitaires.
Harlette Kavira, qui n’a aucun lien de parenté avec moi, vit à Kirumba. En 2011, dit-elle, sa sœur alors âgée de 27 ans, s’est rendue à Goma pour rendre visite à sa famille. Elle n’est jamais revenue.
Un jour, un commerçant de Kirumba qui effectuait l’un de ses voyages d’affaires réguliers en Ouganda a vu la sœur de Kavira à Kampala, la capitale, là-bas. Elle vivait dans un camp de réfugiés dans l’attente d’une réinstallation.
« Elle venait de déclarer avoir perdu tous les membres de sa famille », explique Kavira, décrivant comment cette femme a pu obtenir le statut de réfugiée.
Cinq ans plus tard, cette femme s’est retrouvée en Australie grâce à un programme de réinstallation de réfugiés. Sont admis sur le sort australien seuls les réfugiés fournissant la preuve de ce qu’ils peuvent être en danger en cas de retour dans leurs villages, d’avoir besoin d’un quelconque traitement médical ou de n’avoir pas d’autre endroit où aller.
Jouer ce genre de bons tours lui a valu un renom à Kirumba. Et elle n’est pas la seule.
Par la suite, elle a contacté sa famille à Kirumba par le biais d’Internet.
« Elle s’est excusée du fait qu’elle nous a déclarés morts », déclare Kavira.
Certes, chaque cité compte des amants de l’aventure que sont ces gens qui, dès que leur âge le permet, s’en vont à cause de leur goût de l’exploration ou de leur rêve d’une vie meilleure ou différente. Mais cela n’est pas la même chose que ces gens qui deviennent des réfugiés par choix.
« Ceux qui veulent devenir réfugiés sont des paresseux qui veulent la facilité », tranche Zaidel Ngolo, président du conseil de la jeunesse du sud de Lubero.
Un jour, j’ai vu un homme dans un bus emportant une natte de couchage avec lui. C’était en 2012, et il n’y avait guère de déplacements de populations locales, il régnait un calme. Lui demandant de me dire le pourquoi de son déplacement, il m’a répondu qu’il allait se faire enregistrer comme réfugié au camp de Mugunga, un grand site d’installation des déplacés près de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC.
Aussi lui ai-je demandé pourquoi il ne voulait pas rester dans son village et s’adonner aux travaux champêtres. Il voulait, a-t-il répondu, tout faire pour laisser derrière son héritage agricole pour tenter sa chance d’entrer dans un pays à revenu élevé. Je fus donc surprise de voir quelqu’un choisir de devenir réfugié malgré la sécurité régnant dans son terroir.
Même si ce n’est pas toujours le cas, les gens pour qui la réinstallation d’urgence reste un réel besoin se retrouvent souvent dans les zones les plus reculées, bloquées de toutes parts par une géographie hostile ou des groupes armés violents. Si les organisations humanitaires pouvaient se rendre sur ces lieux, ces habitants pourraient également se mettre à l’abri du danger.
Ce n’est que lorsque la violence diminue et que les routes redeviennent sûres pour le passage que les gens peuvent même se rendre sur les lieux où les services d’aide aux réfugiés sont disponibles.
Selon certaines gens en RDC, se faire enregistrer comme réfugié semble être l’ouverture de la porte aux études universitaires. On va vivre ailleurs étant pris en charge par une organisation qui vous nourrit et vous loge.
Des cas de demandes frauduleuses de statut de réfugié sont monnaie courante et sont souvent détectés par des agences d’aide à l’installation ou même par des gouvernements étrangers.
En tout état de cause, la population de réfugiés congolais est en augmentation dans le monde entier.
Chapitre 8 : Histoire
Montée en flèche du nombre de réfugiés congolais
Aujourd’hui, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde s’élève à plus de 70 millions. Des données récentes révèlent que 37 000 autres personnes sont obligées de fuir leur domicile chaque jour.
Quoique chaque pays dispose de ses propres critères pour identifier les réfugiés, la définition qui importe le plus en Afrique centrale est celle utilisée par l’ONU qui gère la plupart des camps de réfugiés dans la région. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les refugies (HCR), « un réfugié est une personne qui a été forcée de fuir son pays à cause de la persécution, de la guerre ou de la violence ». Cette personne doit « craindre, avec raison, d’être persécutée pour des raisons de race, de religion, de nationalité ou de nationalité, d’opinion politique ou d’appartenance à un groupe social déterminé ».
« Très probablement, elle n’est pas en mesure de retourner chez lui, soit a peur de le faire », poursuit la définition.
La RDC, quoique non déclaré officiellement, l’est de la RDC se trouve en état de guerre, ou du moins dans un conflit sans fin, depuis 1996, avec pour corollaire, la montée en flèche du nombre de réfugiés congolais installés partout dans le monde.
En 2018, les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont connu un taux de mortalité violente s’élevant à 8,38 civils pour 100 000 habitants, soit plus du double du taux enregistré au Yémen.
Selon les prévisions du HCR en juillet 2019, la RDC arrivera au troisième rang du classement des pays générant le plus de réfugiés en besoin de réinstallation dans le monde, derrière la Syrie et le Sud-Soudan.
Plus de 765 000 réfugiés congolais ont été réinstallés sur le continent africain en septembre 2018. Et plus de 70 000 réfugiés congolais sont arrivés aux États-Unis depuis 2002, selon une base de données en ligne gérée par le Refugee Processing Center, une division du département d’État américain.
Selon cette base de données, environ 20 000 d’entre eux sont arrivés en 2016. En 2018, environ 9 300 Congolais sont arrivés sur le sol américain. À en croire les données rendus disponibles au début de 2019, le nombre de réfugiés congolais ayant été admis aux États-Unis en 2018 est plus que le double du nombre de réfugiés admis au cours cette année en provenance de tout autre pays.
Les réfugiés congolais sont le plus souvent admis aux États-Unis pour des raisons humanitaires ou de regroupement avec leurs membres de famille ayant déjà obtenu le statut de réfugié ou d’asile. Le critère de regroupement familial a été supprimé en 2008 en raison de nombreuses allégations de fraude. Mais il a été rétabli en 2012 avec de nouvelles exigences, qui incluent désormais des preuves ADN.
Jusqu’à présent, la diminution controversée du nombre de réfugiés admis aux États-Unis, imposée par l’administration Trump, n’a pas limité le nombre de demandes par des citoyens de la RDC. Selon les données consultées en date du 1er octobre, le plafond de tous les réfugiés en provenance d’Afrique pour cette année est de 11 000, dont 10 377 ont été attribués à des réfugiés en provenance de la RDC.
Néanmoins, décider de rester ou de partir n’est pas chose facile.
Chapitre 9 : Souvenirs, 2008
« Nous vivons dans l’air ».
Quand un groupe armé entre dans la cité, nous écoutons d’abord ce qu’il a à dire. Nous décidons ensuite si nous pouvons engager un dialogue avec ses chefs. Nous envoyons des médiateurs – nos propres représentants de quartier – pour savoir si les normes du groupe sont endurables.
Ensuite, chaque personne, chaque famille fait son choix.
Celui qui se sent en mesure de s’accommoder des exigences du groupe reste. Et quiconque se sent incapable n’a qu’à prendre le chemin de la brousse ou aller dans un camp temporaire.
Cette pratique, courante, est devenue la règle.
En RDC, il y a un dicton que nous utilisons pour décrire la précarité de la vie et la perte du sens de notre domicile : « Nous vivons dans l’air ».
Je me souviens que lorsque les Wangilima sont revenus à Kirumba en 2008, ils ont fait regner encore une véritable terreur. Leur objectif déclaré de protéger le peuple congolais des étrangers, n’avait pas changé. Ils se dénomment eux-mêmes « Balinda Amani », protecteurs de la paix en swahili.
Mais ils ont accompli leur mission avec une violence extraordinaire.
Plus de 20 ans après le génocide au Rwanda, ils cherchaient à tuer quiconque aurait des racines rwandaises, même des bébés. Et à leur arrivée à Kirumba, ils ont commencé à tuer des gens à la machette, sans même laisser la vie sauve aux non Rwandais accusés par de divers crimes ou actes.
Un jour, j’ai les ai vus de mes propres yeux battre à mort deux filles. Les Wangilima les avaient accusées de sorcellerie.
« Ils nous ont dit de dire aux gens de ne pas avoir peur », explique Paluku Kingaha, chef de quartier âgé de 62 ans.
Mais lors des affrontements entre les Wangilima et l’AFDL, nous avons couru dans la forêt pour nous cacher encore.
Quand nous avons voulu revenir, on nous a dit que nous devions payer une taxe en échange de la paix encore.
Au cours de cette période, le gouvernement congolais clamait sur toutes les tribunes que les membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) allaient déposer les armes et se rendre. L’objectif officiel était de les démobiliser et de les déporter au Rwanda, mais en réalité, ces combattants étaient impitoyablement pourchassés.
J’avais 29 ans en novembre 2008. J’étais mariée et mère de deux enfants, mais je faisais partie des chanceux : travaillant pour une station de radio communautaire appelée Radio Communautaire Tayna à Kasugho, un village situé à environ 60 km au nord-est de Kirumba à vol d’oiseau, je parvenais à joindre les deux bouts. Mon travail consistait à envoyer des messages aux branches de cette station à Goma au sud et à Butembo au nord pour le compte du chef de la station.
Cette station diffusait des annonces encourageant les combattants des FDLR à se rendre, mais nous avons payé le prix fort pour cela. Peu de temps après, les FDLR s’en sont prises à la station. Une fois la nuit tombée, des balles ont commencé à siffler tout autour. Nous devions tous fuir pour avoir la vie sauve. La station fut brûlée et réduite en cendres.
Je suis donc retourné à Kirumba, mon village natal.
Les FDLR ont déguerpi dans le parc national des Virunga, véritable trésor d’espèces menacées d’extinction et de précieuses ressources naturelles. Et ils y restent encore aujourd’hui. Depuis lors, des pillages, des meurtres et des destructions dans le parc y ont été réguliers.
ÉPILOGUE
Kirumba, RDC, aujourd’hui
Donc, telle est notre vie. Beaucoup de choses ont changé. Et beaucoup d’autres n’ont pas bougé d’un iota.
Vous vous demandez peut-être, avec tout cela, pourquoi je reste ?
Je sais, il m’est facile de partir.
Je peux déménager à Goma, où d’autres journalistes de GPJ sont basées. Mais aucun autre journaliste ne se trouve sur le territoire de Lubero. C’est un devoir et un honneur pour moi de raconter les récits de mon terroir.
Je reste parce qu’ici c’est chez moi.
Je suis né ici. J’ai grandi ici. Ma famille est ici. J’ai récemment construit ma propre maison ici.
J’ai vu cet endroit en temps de paix et en temps de guerre. Dans les deux sens, c’est chez moi.
Au cours de ma vie, j’ai dû fuir cet endroit à maintes reprises. Mais chaque fois que je me suis enfuie, je l’ai fait en sachant que je devais revenir.
Je me souviens souvent de ma ligne préférée dans une fable de Jean de La Fontaine : « Gardez-vous, [dit-il], de vendre l’héritage que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans ».
Et donc, je ne quitterai pas cet endroit. Je resterai. Je resterai pour ma famille.
Je resterai pour vous. J’espère que mon journalisme vous rappelle qu’il y a des êtres humains ici.
Par-dessus tout, je resterai pour moi. Si je partais, je sais que je n’aurais jamais l’esprit tranquille.
J’adore ce terroir. C’est mon port d’attache.
Article, photos et audio par Merveille Kavira Luneghe, GPJ RDC
Reportage supplémentaire par Noella Nyirabihogo, GPJ
Photos par drone par Alain Wandimoyi et Moise Musafiri Ntamuhanga, GPJ
Design et direction créative par Katie Myrick, GPJ
Recherche par Bennett Hanson, GPJ
Montage photo, vidéo et audio par Austin Bachand, GPJ
Traduction par Ndahayo Sylvestre, GPJ
Édition par Krista Kapralos, GPJ
Coaching par Jacqui Banaszynski
Vérification des faits par Terry Aguayo, GPJ
Révision par Seher Vora, GPJ
Illustrations par Matt Haney pour GPJ