Democratic Republic of Congo

Les camps de prière se multiplient à mesure que les patients atteints de troubles psychiatriques perdent confiance en l’hôpital

L’Hôpital Général de Référence de Makiso dispose du seul service psychiatrique de la province de Tshopo ; or le manque criant de personnel et de médicaments contraint les patients désemparés à chercher de l’aide ailleurs.

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Prayer Camps Flourish as Psychiatric Patients Lose Faith in Hospital Care

Zita Amwanga, GPJ DRC

Une femme entre dans le service neuropsychiatrique de l’Hôpital Général de Référence de Makiso.

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KISANGANI, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO : Après une année de visites répétées à l’hôpital, alternant entre espoir et désespoir, Leonnie Mangaza s’est rendue à ce camp de prière situé dans la ville de Kisangani, capitale de la province de la Tshopo. Un inconnu prie pour elle et elle attend que Dieu la guérisse.

En janvier 2021, Mangaza, 39 ans et mère de cinq enfants, a commencé à se comporter bizarrement. Elle pouvait se lever brusquement et commencer à enlever ses vêtements ou à crier sans raison. Parfois, elle tentait de tout casser ce qui se trouvait dans la maison, raconte son mari, Aristote Juma. Ce dernier l’a conduite à l’Hôpital Général de Référence de Makiso, où se trouve le seul service neuropsychiatrique de la Tshopo, la plus grande des 26 provinces de la RDC. Le couple espérait que les médecins établiraient un diagnostic et lui donneraient des médicaments, afin qu’il puisse repartir après quelques jours. Les choses ne se sont pas malheureusement déroulées comme prévu.

En réalité, le service a toujours été confronté à un manque de spécialistes, de médicaments et de soins adéquats. À vrai dire, le service neuropsychiatrique ne comprend pas de neuropsychiatres. À tout moment, en dépit du nombre de patients admis, un seul médecin traitant, n’ayant aucune expertise dans le domaine, et huit membres du personnel infirmier sont présents, ce qui laisse des patients comme Mangaza, aux prises de graves problèmes de santé mentale, sans surveillance, sans traitement et, comme l’affirme Juma, « confus ».

« Tous les biens de la maison partirent en vente, pour sauver ma femme. Mais je suis confus », explique-t-il.

Bien que faisant partie de l’Hôpital Général, le service neuropsychiatrique est privé de médicaments de la pharmacie de l’hôpital, contrairement à d’autres services. Le Dr Aime Zola, médecin superviseur de ce service, explique que le seul médicament que le service reçoit de la pharmacie est le diazépam, un anxiolytique, au motif qu’il s’agit du médicament le moins cher et le plus nécessaire pour ce service. Pour le reste, les patients doivent se débrouiller seuls. « Nous n’avons que les diazépams à notre possession, la prescription médicale est à la charge de la famille qui doit s’organiser pour trouver le médicament enfin que les malades soient traités », ajoute Zola.

Selon le Dr Mathieu Kanga, médecin à l’Hôpital Général, le fait que Kisangani n’ait même pas un seul neuropsychiatre ne facilite pas la tâche. Le directeur de l’hôpital, Junior Balanga, estime que l’hôpital n’est pas en mesure de fournir des soins appropriés, et ce, parce que les médicaments à usage psychiatrique sont coûteux et que le gouvernement ne finance pas les soins psychiatriques, comme il le fait pour le traitement et la prévention de maladies telles que le paludisme.

Mangaza et Juma ont cru en la médecine pendant un an, mais au bout du compte, Juma a décidé de quitter l’hôpital pour nourrir d’autres espoirs. Mangaza et Juma ne sont pas les seules. « Il est vrai que ce service souffre de certaines contraintes sur le plan médical et de l’hospitalisation », avoue Zola.

Le manque criant de médicaments et de médecins spécialistes au sein du service de neuropsychiatrie pousse les malades atteints de troubles mentaux de la province à se rendre en masse dans ce que l’on appelle localement « camps de prière », pour implorer le secours divin. « Nous avons passé plus de temps à l’hôpital, car le médecin nous rassurait que tout irait mieux. Après plusieurs sacrifices, et sans changement, j’ai quitté l’hôpital pour me rendre dans la chambre haute… ça va quand même, son état s’améliore », raconte Juma.

Les camps de prière, organisés par les églises, sont des espaces physiques où des « hommes de Dieu » prient en permanence pour les malades, notamment ceux dont la maladie semble incurable aux yeux des médecins. Situées au dernier étage des maisons ou des églises, ces salles sont réparties dans toute la ville de Kisangani. Richard Kakonda, représentant légal par intérim des églises de réveil de la province de la Tshopo, déclare : « Je ne peux pas vous donner un décompte exact de ces chambres parce qu’elles poussent comme des champignons ». Même s’il n’est pas en mesure de préciser la date d’ouverture de la première salle de ce type, il estime que la tendance a vu le jour à la fin des années 1990.

Une salle de prière classique contient des matelas pour patients, des bidons d’eau, des pots, des assiettes et des seaux. L’espace étant calme, le silence y est rompu uniquement par le son des prières et des chants en swahili à des moments précis de la journée. Les intercesseurs facilitent le processus de prière et, dans certains cas, jeûnent même pour le compte des patients. « Nous organisons des chaînes de prière pour les personnes souffrant des troubles mentaux, car Dieu est capable de guérir toutes sortes de maladies », explique Patrick Kalongalonga, intercesseur dans l’un des camps de prière.

« Tous les biens de la maison partirent en vente, pour sauver ma femme. Mais je suis confus ».

Au moment où Juma était aux côtés de sa femme à l’hôpital, leurs cinq jeunes enfants étaient hébergés par des amis et des membres de leur famille. Juma explique qu’il ne pouvait pas laisser sa femme seule. « Dans la salle de prière, je suis chaque mouvement qu’elle fait. Nous sommes toujours en train de prier. Les prières que nous récitons sont spécifiques à chaque personne en fonction de ses problèmes », explique-t-il.

Mangaza n’est pas le seul patient à avoir rejoint un camp de prière après avoir été déçue par l’hôpital.

Kalongalonga déclare : « Nous avons reçu ces cas plusieurs fois ici. En ce moment, nous avons quatre cas de malades mentaux qui ont quitté l’hôpital pour venir ici, et grâce à la prière il y a une amélioration ».
Une autre patiente, Solange Ekili, raconte qu’elle a passé plus de six mois à l’hôpital « se comportant comme une folle sans être guérie ». Aujourd’hui, elle pense qu’elle est en train de retrouver la santé.

Non loin de ces adorateurs, Safi Pangi prie tous les matins pour un miracle, celui de voir son fils de 23 ans, malade, retrouver la santé. Toutefois, s’asseoir dans les locaux du service neuropsychiatrique de l’Hôpital Général lui semble chimérique. « Je suis ici il y a de cela six semaines avec mon fils, pas de médicaments suffisant pour lui. Je ne reçois que des ordonnances dont les produits ne sont pas sur place, il faut envoyer l’argent à Kinshasa pour avoir le médicament », dit-elle.

Le manque de médicaments ou de soins n’empêche pas les patients de se rendre au service. Celui-ci a enregistré plus de 200 patients l’année dernière, indique Zola. « Les appuis sont rares en ce qui concerne les malades compliqués comme ceux des malades mentaux… la vie humaine est sacrée, je viens de faire part au chef de division de la santé de rendre ce service à part entière pour voir comment améliorer ce service. » déclare le Dr Marcel Sabiti, qui coordonne le programme gouvernemental de santé mentale dans la province de la Tshopo.

Après six semaines passées au sein du service, Pangi a fini par baisser les bras. Elle a emmené son fils dans un camp de prière pour voir si les miracles s’y opèrent vraiment.

Zita Amwanga est journaliste à Global Press Journal et vit à Kisangani, en RDC.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Christelle Yota, GPJ.